jeudi 26 mars 2009

La ville fantôme : Ricky Gervais sees dead people

Comparer un film moderne à un cinéaste de l’ère « classique » est souvent un raccourci facile, et dans certains cas exagéré (combien de fois a-t-on entendu parler de « thriller hitchcockien » pour un film qui n’arrivait pas à la cheville d’un film du maître du suspense ?). Pourtant je viens de voir un film qu’il est bien tentant d’associer à un autre réalisateur de l’âge d'or Hollywoodien. Ce film, c’est La ville fantôme.

Malgré une campagne d’affichage notable sur les devantures des bistrots parisiens la semaine précédent sa sortie, La ville fantôme a été distribué en catimini dans une unique salle de la capitale, Le Publicis, à des horaires rares et difficilement accessibles (deux jours par semaine, en première semaine à 15h45, en seconde à 22h). Un film qui nécessitait donc une motivation inflexible, ce qui fût mon cas. J’ai attrapé ce film lors de son ultime séance parisienne, mardi 24 mars à 22h, dans une salle au taux de remplissage anormalement élevé pour les standards du Publicis (ceux qui fréquentent la salle sauront de quoi je parle).

J’aime donc autant vous prévenir que si l’envie vous prend d’aller vous-même errer vers cette Ville fantôme, il faudra désormais attendre sa sortie en DVD.

Malgré son aspect lambda, La ville fantôme recèle un air de comédie classique dans la lignée de celles que concoctait avec un talent fou Frank Capra. Un héros masculin banal, un cadre très américain, une femme, un évènement poussant au bouleversement de la vie du héros, et de l’humour. Beaucoup d’humour.

Ici notre héros s’appelle Bertram Pincus. Docteur Bertram Pincus, dentiste de son état. Le docteur Pincus est un homme solitaire, irascible, peu enclin à fréquenter ses semblables, qu’ils soient collègues ou simplement êtres humains. C’est un pur associable. Pourtant, après être mort quelques minutes sur le billard lors d’une opération bénigne, ce grincheux de Pincus se voit affublé d’un sacré don : il voit les morts. Et ceux-ci, bien contents de rencontrer enfin quelqu’un qui peut communiquer avec eux, vont vite harceler ce cher Pincus pour qu’il les aide dans leur errance post-mortem.

Si David Koepp, scénariste réputé, auteur et réalisateur de cette Ville fantôme, avait déjà montré son intérêt pour le fantastique (avec Hypnose notamment), le voir manier la légèreté et l’humour avec une telle réussite est surprenant, mais parfaitement réjouissant. Il croque un personnage cynique, méprisant, égoïste, pathétique et pourtant absolument délicieux. Non pas humainement bien sûr, mais pour le spectateur que l’on est. Un personnage parfaitement incorrect qui trouve en son interprète Ricky Gervais une incarnation jubilatoire.

Est-ce donc là toute la magie du film ? Aussi réducteur que cela puisse paraître, oui. Il n’est point besoin de plus à David Koepp pour nous happer dans cette comédie romantico-fantastique new-yorkaise, qui arrache des rires convulsifs à qui a la chance de le voir. C’est ce personnage, et son adéquation parfaite avec son interprète, qui font tout le sel de La ville fantôme. Cela pourrait sembler minime et pourtant c’est énorme. C’est une comédie qui ose ne pas chercher le sophistiqué, le trépidant, le novateur. On pourrait croire que c’est éviter les risques et jouer la prudence, pourtant c’est justement ce pari du « classique », de cet homme pathétiquement ordinaire confronté à l’extraordinaire, qui fait la force du film.

Qu’importe que le happy end, que les bons sentiments, prennent finalement le dessus. Cela fait partie du jeu. Les grandes comédies hollywoodiennes de l’âge d’or offraient toujours un beau dénouement. Pourquoi cracher sur un beau dénouement moderne ?

mercredi 18 mars 2009

Un week-end au ciné - Chapitre 2

Après quelques semaines pendant lesquelles je me suis rendu avec parcimonie dans les salles obscures, ce week-end a marqué mes retrouvailles avec le cinéma, au rythme régulier qui est le mien.

L’exploration cinéphile a commencé le samedi après-midi (à l’UGC Ciné Cité Les Halles pour changer…) de fort belle manière avec Welcome de Philippe Lioret. Ce dernier, s’il n’est pas encore un grand nom du cinéma hexagonal, commence à esquisser les traits d’une carrière des plus intéressantes. Ses deux précédents films avaient même connu de beaux succès au box-office, L’équipier et surtout Je vais bien, ne t’en fais pas, dont l’émotion avait conquis près d’un million de spectateurs et avait valu un César chacun à Kad Mérad et Mélanie Laurent.

Welcome est bien parti, non seulement pour séduire le public français, mais également pour valoir un véritable respect à la fois professionnel, critique et plus généralement sociétal à Lioret. Il s’agit d’un film fin et puissant ayant déjà fait couler beaucoup d’encre en raison de sa prise de position à l’encontre d’une loi condamnant les français aidant les personnes en situation irrégulière. Au-delà de son sujet fort, Welcome est un beau morceau de cinéma, portrait de deux hommes dont la rencontre et l’amitié improbable emporte les cœurs (prouvant au passage une nouvelle fois à quel point Vincent Lindon est un excellent comédien). Un des plus beaux films français de ces derniers mois.

Enchaîner avec un second film juste derrière n’est pas chose aisée, encore moins lorsqu’il s’agit de voir un film comme La vague, drame allemand ayant connu un énorme succès au box-office d’outre-Rhin l’année dernière, et traitant d’un sujet délicat. Le film se penche sur un professeur qui, dans le cadre d’une semaine thématique dans un lycée, pousse ses élèves à expérimenter de façon vivante ce qu’est une autocratie. La classe va très vite se prendre au jeu de cette simulation de dictature. Bien trop.

Un sujet fort, choc, et facilement casse-gueule qui rappelle un autre succès allemand d’il y a quelques années, L’expérience. La Vague, sans surprise, se révèle un film au potentiel sociologique élevé mais à la mise en œuvre quelque peu… délicate. Le problème est qu’avec un tel sujet, on sent le dérapage inévitable, et qu’ici il est si flagrant, si incontournable, si prévisible, qu’il est difficile de se sentir bousculé intellectuellement et moralement par un film qui se contente de réaliser ce qu’on attend de lui. Attention, il le fait bien, mettant en avant de belles qualités, mais pour un résultat au final qui ne marquera pas les mémoires.

Ma journée de samedi s’est achevée au Forum des Images, marquant mes retrouvailles avec ce lieu cinéphile des Halles où était programmé, dans le cadre d’une « Nuit Fantastique », un inédit coréen récemment primé à Fantasporto et présenté à Gérardmer, Hansel & Gretel. Une relecture moderne (et plus coréenne bien sûr) du classique conte pour enfant.
Dans cette transposition, un jeune homme a un accident de voiture au beau milieu d’une forêt. Il est secouru par une jeune adolescente qui l’amène chez elle dans sa maison au fond des bois, où l’accueillent son frère, sa sœur, et leurs parents. Une famille idéale dans une demeure semblant sortie d’un conte. Mais peu à peu, ce parfait tableau va s’effriter, et l’invité se transformer en captif.

Plastiquement fascinant, baigné de couleurs irréelles, Hansel et Gretel, bien que classique dans le fond, offre un spectacle fantastique entremêlant le chaleureux et le glaçant avec aisance. Il est malheureusement peu probable que le film sorte un jour en salles en France. Pour la petite histoire, le Forum des Images, s’il a été magnifiquement rénové par ailleurs, offre une grande salle presque conservée à l’identique, si ce n’est un renouvellement des fauteuils.

Le lendemain dimanche fut une journée inattendue en matière de films. D’abord parce que je me suis résigné à aller voir La journée du 15 août, comédie italienne qui ne me tentait guère mais qui était la seule solution pour voir un premier long-métrage avant d’aller voir celui que je voulais vraiment voir, la série B Les Passagers.

La première surprise a été que contre toute attente, la comédie italienne m’a séduite. N’en attendant rien de particulier, je me suis trouvé à rire et à me prendre d’affection pour cette petite bande de mamies laissées sur les bras d’un quinqua romain un peu dépassé par les évènements. Le film est court, à peine 1h15, les personnages sont croqués de manière à nous faire jubiler devant les tribulations en huis clos de ces vieilles dames (en particulier la mère du protagoniste, bourgeoise jusqu’au bout des ongles). Une excellente surprise.

La surprise (moins bonne) du jour - mais en fut-ce vraiment une ? - résida dans la médiocrité des Passagers de Rodrigo Garcia. Une série B aux accents surnaturels sur les rescapés d’un crash aérien et la psy qui les suit. Mes espoirs ne volaient pas haut, mais certainement pas aussi bas qu’un scénario creux et qu’une mise en scène mollassonne. Le dernier tiers du film a beau insuffler un semblant d’intrigue fantastique, un semblant de vie et de remuant, le décrochage s’était déjà fait.

Anne Hathaway, Patrick Wilson, David Morse, Andre Braugher, mais que font ces bons acteurs dans un film si vide ? Et d’abord, qu’en a pensé le barbu du premier rang, cinémaniaque hantant souvent les salles obscures et déjà vu la veille au soir au premier rang de la projection d’Hansel et Gretel ? Mystères…

lundi 16 mars 2009

Watchmen : des justiciers noyés par l’esthétisme

Non. Désolé. Vraiment. J’aurais aimé vous dire, comme la majorité de ceux qui l’ont vu, que Watchmen m’a emballé, que c’est la bombe du mois, que je suis sorti fasciné et soufflé par ce spectacle explosif. La vérité est ailleurs comme dirait l’autre. La vérité est que beaucoup d’aspects du film de Zack Snyder m’ont convaincu. Convaincu qu’un grand, un très grand film se cache entre les lignes du comic book d’Alan Moore.

Malheureusement ce n’est pas ce film qu’a réalisé Snyder, car celui-ci s’est contenté de faire ce qui avait fait le succès (immérité ?) de son 300 : un blockbuster ultra léché qui en met plein la vue visuellement. Le problème c’est qu’avec Watchmen, il y avait bien mieux à faire qu’un défilé de 2h40 de ralentis, d’images bien chiadées, et d’enchaînements de standards musicaux à un rythme effréné.

Ce qui énerve chez un réalisateur comme Snyder, c’est qu’il fait primer la forme sur le fond. Ses effets spéciaux démentiels et son sens visuel aigu sur l’approfondissement des personnages et sur la densité de son intrigue.

Du coup oui, plus d’une fois on se trouve bluffé par l’immensité du film, son sens du grandiose qui en impose sur grand écran. Mais Snyder a-t-il si peu de choses à faire dire à ses personnages qu’il préfère accompagner incessamment ses images par des tubes des années 80 ? A-t-il tellement peur d’affronter le réalisme de la violence qu’il préfère constamment emballer ses scènes d’action (aussi bien le combat que le sexe) par des ralentis qui finissent vraiment par lasser ? 2h40 ainsi, c’est trèèèèès long.

Il y avait pourtant de grandes choses à faire avec une base pareille, avec cet univers parallèle dans lequel se déroule Watchmen. Dans cet univers, les États-Unis ont gagné la guerre du Vietnam grâce au Docteur Manhattan, une sorte de Dieu vivant dont les pouvoirs n’ont pas de limites. Nixon, grâce à cela, est toujours président au milieu des années 80, alors que la Guerre Froide bat son plein et menace de faire éclater sous peu une guerre nucléaire apocalyptique. Les Watchmen, ces justiciers d’une autre époque, ont été mis à la retraite forcée, mais lorsque l’un d’entre eux est assassiné, ils ressortent de l’ombre.

Avant Zack Snyder, de nombreux cinéastes ont été à deux doigts de porter à l’écran Watchmen. Terry Gilliam il y a bientôt 20 ans. Darren Aronofsky avant qu’il ne préfère se consacrer à The Fountain. Paul Greengrass. Ce dernier en particulier aurait fait sans nul doute un film aux antipodes de celui de Snyder, visuellement parlant.

Bien sûr il y a de bonnes choses tout de même sous ce déluge d’esthétisme. A commencer par une ambition narrative jouant la carte du récit éclaté, entremêlant les époques avec une belle fluidité. L’autre énorme réussite du film, c’est le personnage de Rorschach, le plus mystérieux, fascinant, inquiétant des Watchmen. Un petit homme caché derrière son masque, absorbé plus qu’aucun autre par sa mission, par sa foi dans la nécessité des justiciers masqués. C’est, avec le Docteur Manhattan, le personnage le plus réussi du film…

Les autres personnages sont malheureusement bien pâles à côté, soit par leur traits trop grossiers (Le Comédien), soit par leur manque d’épaisseur. Il est également possible de regretter que l’adaptation, dans son désir de rester peut-être trop fidèle à la BD dont elle est tirée, ne parvienne pas à rendre plus moderne les enjeux de l’intrigue, à tirer un parallèle avec notre époque elle aussi bien sombre, se contentant trop de rester dans son pré carré des années 80.

La déception a donc été au rendez-vous. On est bien loin d’un Dark Knight, qui bénéficiait derrière la caméra d’un Christopher Nolan ayant préféré mettre tout le poids du film dans la complexité de ses personnages et la richesse de son propos, cherchant le côté obscur non dans l’aspect visuel comme Snyder, mais dans la réflexion constante sur la perception du bien et du mal, chose que Watchmen ne parvient à dessiner que dans son dernier acte.

jeudi 12 mars 2009

Marley et moi, torrent de larmes pour un chien ?

Il y a quelques jours un blogueur appelé Michael (qui se reconnaitra) écrivait sur les conséquences lacrymales du film Marley et moi, renvoyant la référence au « classique » du tire-larme qu’est Love Story. Je n’ai pas pour habitude de me rendre au cinéma le dimanche soir, période de la semaine où comme tout un chacun je préfère me caler bien au chaud chez moi. Mais après une semaine en sevrage d’excursions en salles obscures, ce dimanche soir était ma première fenêtre libre pour une telle sortie en près de huit jours.

L’avantage d’habiter à 10 minutes à pied du plus grand cinéma de Paris s’est donc fait ressentir lorsque j’ai pointé le bout de mon nez à l’UGC Ciné Cité Les Halles. Le dimanche soir n’étant pas le moment propice à la joie, la réflexion « Quitte à chialer, autant le faire un dimanche soir » m’a traversé l’esprit et m’a poussé vers Marley et moi qui, comme presque tous les films démarrant dans les 20 minutes qui suivaient, affichait déjà presque complet (il le fut complètement au moment où commença le film).

Aller voir un film dont le bouche-à-oreille clame haut et fort que seule une brute épaisse sans cœur ne sentirait pas les larmes lui couler le long des joues sonne comme un défi. « Et si moi je ne pleurais pas ? Chiche ? ». Bon après tout, ce n’est jamais que l’histoire d’un couple qui, en attendant de fonder une famille, se fait la main sur un labrador particulièrement peu malléable, filmée qui plus est par le réalisateur du Diable s’habille en Prada, et avec deux comédiens dont la carrière s’épanouit en général dans la comédie.

Alors qu’est-ce qui fait pleurer au cinéma ? La réponse la plus évidente est bien sûr la mort. Prenez un personnage bien sympathique, un bon gars, une bonne fille, rendez-les gentils pendant 1h30 et tuez-les à la fin, et le commun des mortels y va de sa petite larme. Love story, cité plus haut, en est un exemple. Philadelphia, qui plus est assorti d’un regard sur la génération SIDA, reste à mes yeux la référence en la matière. Tom Hanks sur son lit d’hôpital, et les premières notes de Neil Young, et je sens déjà mes yeux s’humidifier.

Une des règles d’or d’Hollywood tiendrait dans une maxime à résumer ainsi : « Pas touche aux animaux ». L’encre a amplement coulé par le passé pour souligner à quel point les cinéastes, ou producteurs, ou pontes de studios, étaient frileux dès qu’il s’agit de faire trépasser les fidèles compagnons des êtres humains. Pas envie de traumatiser les gamins. Cela rend les morts animales qui échappent à la coupe de la « censure » d’autant plus marquantes. La mort de Two-Socks, Chaussettes en VF, le loup emblématique du lieutenant Dunbar dans Danse avec les loups de Kevin Costner, fut, et reste, l’un des moments les plus émouvants de ma vie de spectateur (salauds de militaires !!!).

Bon, bien sûr, lorsque l’on croit avoir cerné « l’effet lacrymal » au cinéma, que l’on croit savoir ce qui est susceptible de nous faire pleurer dans un film, cet imprévisible Clint Eastwood débarque et nous prouve le temps de Sur la route de Madison que, finalement, on peut faire pleurer par des artifices bien plus complexes que la « simple » mort. Le gâchis, la perte, l’absence, le renoncement, l’amour abandonné peuvent se montrer encore plus redoutables dans le ressenti de l’émotion.

Mais à ce jeu-là, le grand Clint est de toute façon imparable, tant le cinéaste a montré ces dernières années une faculté incroyable à véhiculer l’émotion dans ses films, comme nous l’a rappelé tout récemment Gran Torino.
David Frankel, le réalisateur de Marley et moi, n’a pas l’étoffe d’un Clint Eastwood pour ce qui est du talent, du moins ne joue-t-il pas dans la même catégorie. Son film n’est pas un grand film, mais il n’est pas besoin d’un grand film pour amener les larmes. Il suffit de créer des personnages. De les faire exister pendant deux heures, de les faire apprécier, évoluer, vivre. De rendre leur existence palpable le temps d’un film, de leur donner un lien qui semble indéfectible. Et de laisser la vie faire le reste, dans la fiction qu’il a créé pour nous.

Le verdict, dans l’affaire Marley et moi, est incontestable et unanime : ce lien, cette vie, ont bien été insufflé au long-métrage. Et au bout de presque deux heures de film, après bien des joies et des peines dans la vie du couple Grogan, la salle était en larmes, reniflant, essuyant ses yeux, sortant les mouchoirs. Chaque spectateur, moi le premier.

Non, Marley et moi ne restera pas parmi les plus grands films de l’année, comme le seront Benjamin Button ou Gran Torino. Mais il me semble peu probable qu’un autre film me fasse autant pleurer que celui-ci en 2009. Et rien que pour ça, je me souviendrai tout de même longtemps d’Owen Wilson et son labrador.

dimanche 1 mars 2009

Gran Torino, l'éternel Eastwood

Il y a une semaine précisément, je soulignais la forte émotion qui m’avait animé à la découverte de L’étrange histoire de Benjamin Button, appuyant la sensation que les très grands films américains s’étaient faits rares sur grand écran ces derniers mois, et que la fable monumentale de Fincher comblait enfin le vide passé.


Eh bien voilà, il n’aura pas fallu une semaine pour que mon cœur s’emballe devant une seconde pépite yankee. Encore un film de studio, mais dirigé par un véritable auteur maître de son film, cette fois Clint Eastwood (qui pourtant, comme Fincher, n’a pas signé le scénario de son long-métrage).


Il n’est nul besoin de présenter le cinéaste américain, tant il est une figure mythique de l’imaginaire hollywoodien. Tout juste faut-il souligner à quel point Eastwood affiche un parcours sans pareil dans l’histoire du cinéma hollywoodien, par sa durée bien sûr mais aussi et surtout par l’ évolution de sa carrière, et sa capacité à se bonifier toujours plus avec le temps. A chaque nouveau film, on se surprend à constater à quel point le réalisateur est encore une fois capable de sortir une grande oeuvre de son chapeau, alors que les précédents semblaient déjà être le point d’orgue de son travail de cinéaste.


Trois mois après L’échange, remarquable polar classique sur le Los Angeles des années 30, Eastwood revient donc déjà avec Gran Torino. Tourné vite, dans le secret, l’été dernier, sans que personne sache vraiment ce que Clint mijotait dans son coin, la réponse nous arrive à la vision du film : il a concocté un film qui comptera parmi ses meilleurs, un film affirmant s’il en était besoin que Eastwood est probablement, aujourd’hui, le plus grand cinéaste américain en activité.


Gran Torino m’a énormément fait penser à Million Dollar Baby, qui déjà avait été tourné vite, était sorti sans prévenir, et avait énormément ému. C’était également la dernière apparition en date d’Eastwood devant la caméra, jusqu’à ce Gran Torino. Dans ce nouveau film, Eastwood interprète Walt Kowalski, septuagénaire tout juste veuf, vivant dans un quartier populaire de Detroit. Pendant que le jeune prêtre de sa paroisse tient absolument à le voir se confesser, Walt voit d’un mauvais œil son quartier être « envahi » par une communauté Hmong, lui ce vétéran de la Guerre de Corée arborant le drapeau américain sur son porche.


Si Gran Torino est un grand film, c’est parce que Eastwood n’a pas peur de forcer les traits. Les traits réactionnaires et racistes de son héros, qui peste, jure et insulte ces nouveaux voisins asiatiques en long en large et en travers, des traits qui sont si audacieusement forcés qu’ils deviennent des élément de comédie parfaitement assumés mettant en lumière le ridicule du comportement. J’ai ri devant Gran Torino presque autant qu’à une pure comédie.


Eastwood, cet homme républicain aux penchants conservateurs, s’est constamment affiché comme un cinéaste ouvert aux thématiques et idées bien éloignées de celles des valeurs républicaines, particulièrement ces quinze dernières années. Il dessine son personnage avec un recul délicieux, et lui offre une richesse qui se découvre au fil du film.


Jamais Walt ne se dépare de son langage outrancier, pourtant l’évolution du personnage est permanente, une remise en question constante qui le rend plus qu’attachant. C’est un roc, bien sûr puisqu’il s’agit d’Eastwood, mais un roc aux failles sinueuses, étonnantes, profondes, réfléchies.


On aurait pu s’attendre, à la vue de l’affiche, ou de la bande annonce, à ce que ce Gran Torino soit une simple histoire de vieux réac qui décide de faire le ménage des gangs dans son quartier. Or il n’en est rien. Si Gran Torino est bien une histoire simple, elle n’en est pas moins riche et réflective, non pas sur « Comment se débarrasser des gangs du quartier », mais sur la découverte de l’autre, de l’étranger, sur les amitiés improbables, sur la difficulté de se sentir proche de ceux qu’on appelle les siens alors que l’on découvre dans une communauté différente de la nôtre une proximité insoupçonnée.


Comme dans Million dollar Baby, Eastwood reprend le thème du mentor, mais aussi celui du mauvais père, et bien sûr la foi catholique est toujours là, en toile de fond. La proximité des deux films est évidente, jusque dans leur capacité à nous frapper émotionnellement. Bien que parcouru d’humour, Gran Torino est un film gardant le deuil et l’ombre à portée de caméra. La puissance du dénouement du film laisse pantois, et les allusions métaphoriques sur sa carrière, aussi bien d’acteur que de réalisateur, sont saisissantes.


Cinéaste posé, sûr de lui, expérimenté, Clint Eastwood a fait de son style classique, où chaque réplique, chaque plan, chaque geste a une place essentielle dans le film, un art que personne ne maîtrise avec autant de dextérité. Son talent est tellement monstre qu’on lui pardonne le jeu trop forcé du jeune comédien Hmong interprétant Thao.


Si j’ai eu du mal à accepter qu’un film comme Benjamin Button se fasse battre aux Oscars par Slumdog Millionaire, il me semble tout aussi aberrant que Gran Torino, ce grand petit film de Clint Eastwood, n’ait même pas récolté une seule nomination. Dans dix ans, les membres de l’Académie se retourneront et se demanderont ce qui avait bien pu leur passer par la tête cette année-là, en 2009.

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