mardi 21 juillet 2015

L’homme qui rit se prend pour Plastic Man, ou le quotidien étrange d’un cinémaniaque

Voilà longtemps que je n’ai pas parlé de mes cinémaniaques préférés, que je croise toujours régulièrement dans les salles obscures de la capitale. Si Jean-Paul, alias Plastic Man, est devenu un fidèle du Festival du Film Coréen à Paris pour mon plus grand bonheur, les autres ne sont pas en reste. Il en est un que je croise uniquement aux Halles et qui s’est rappelé à mon heureux souvenir samedi dernier. L’homme qui rit, alias La Hyène, qui se fait habituellement repéré dans la salle par son rire strident, inquiétant, intempestif, pouvant retentir à n’importe quel instant de n’importe quel film.

Par deux fois je l’ai croisé samedi, et la première des deux ne fut pas au cinéma mais… à la caisse de la Fnac des Halles. Il m’y a joué un drôle de numéro qui semble indiquer qu’il voudrait rivaliser avec Jean-Paul pour se voir attribuer le surnom Plastic Man (mais soyons clair tout de suite, il n’y a qu’un Plastic Man à Paris, et c’est Jean-Paul).

Il est vrai que l’homme qui rit est lui-même toujours assez chargé en sacs plastiques en  tous genres, même si on le remarque plus facilement grâce à ses chapeaux colorés (au choix rose ou orange fluo) qui accompagnent un regard étrange derrière ses grandes lunettes. Et ce rire si particulier, cela va sans dire.

Samedi donc, alors que je patientais dans la queue d’une caisse à la Fnac, je l’ai remarqué là, deux personnes devant moi, dans la même file. Il était encombré de ses énormes sacs, arborait son chapeau orange fluo zébré de noir, et discutait avec la caissière de la file d’à côté en attendant son tour. Si l’on en juge par la familiarité avec laquelle il s’adressait à elle, l’homme doit autant être un habitué de la Fnac des Halles que de l'UGC Ciné Cité. Je m’inquiétais un peu de me trouver dans la même file que lui, redoutant que le personnage soit un client aussi hésitant que le spectateur qu’il est, changeant souvent plusieurs fois de places dans la salle avant le début d’un film. 

Mais j’étais trop curieux pour changer de file. Quelque chose ne collait pas. Un détail qui risquait de rendre la scène ubuesque, du moins l’espérais-je, même si ma séance de « La Isla Minima » m’attendait 15 minutes plus tard. L’homme avait un billet de 10 euros dans une main, et ses 7 ou 8 sacs plastiques dans l’autre… mais rien d’autre. Pas de livre, de disque ou de DVD. Que diable faisait-il donc là ? Qu’achetait-il ?

Son tour enfin arriva… et ma curiosité se propagea à l’homme se trouvant devant moi dans la file, lorsque lui aussi entendit comme moi ce que demanda alors l’homme qui rit à la caissière, nous révélant enfin ce qu’il était venu acheter à la Fnac, et ce pour quoi il faisait depuis de longues minutes la queue. Tendant son billet de 10 euros à la caissière, il demanda à celle-ci : « Donnez-moi 3 euros de sacs plastiques ». Pardon ? L’homme placé devant moi dans la queue s’est tourné vers moi, perplexe, cherchant dans mon regard la confirmation qu’il avait bien entendu. Mon haussement de sourcils le lui confirma.

La caissière sortit alors son stock de sacs plastiques estampillés Fnac, les sacs que l’on vous propose à la caisse contre quelques centimes lorsque vous achetez DVD ou livres, à peine désarçonnée. Et elle s’est mise à compter (pas à voix haute tout de même). 1, 2, 3, 4, 5,… 60. Soixante sacs plastiques Fnac grand format, qu’elle lui passait par paquets de 20, qu’il pliait alors consciencieusement avant de les ranger dans son sac à dos. Et c’est tout. Notre homme rieur aime tant les sacs Fnac qu’il vient dans une des boutiques de la célèbre marque uniquement pour en acheter par soixantaine (à quelle fréquence, je serais bien curieux de l’apprendre). A croire qu’il en fait un usage intensif et exclusif, car effectivement parmi les nombreux sacs qu’il utilisait déjà et pendaient à son bras, les sacs Fnac étaient nombreux.

Il me laissa là et je ne pensais plus le revoir de la journée, lorsque le soir même, alors que je me trouvais dans une salle des Halles, attendant le début de « Magic Mike XXL » (poussé par celle qui m’accompagnait, mais à l’image du premier, le film fut plutôt une bonne surprise), un chapeau orange fluo entra dans la salle. Les mains toujours encombrées de ses nombreux sacs plastiques, son sac à dos renfermant probablement toujours les soixante sacs Fnac achetés plus tôt, l’homme qui rit scruta alors rapidement la salle déjà bien remplie, en quête du fauteuil idéal. Après une première approche en haut de la salle sur la gauche où il était en train de s’installer, il changea d’avis et descendit plus bas, de l’autre côté, quelques rangs devant mois qui avait une bonne vue sur la travée droite de la salle.

C’est dans cette travée que je le vis poser tout son barda, sacs à profusion et chapeau, par terre, au milieu ou presque des marches, laissant peu de place à la circulation des spectateurs. Et au lieu de choisir de s’installer à côté de ses affaires, dans le fauteuil vide donnant sur la travée, il remonta un rang plus haut et fit se lever un spectateur pour s’asseoir un peu plus au centre, laissant là ses affaires, à l’écart. La salle finit par se remplir complètement, la plupart des spectateurs passant par-là se demandant ce que faisaient tous ces sacs plastiques dans la travée. Mais il ne retourna pas à ses affaires avant la fin du film.

Drôle de journée avec l’homme qui rit, même si le plus étrange dans tout cela, c’est que pas une fois celui-ci ne fit retentir son désormais légendaire rire devant le film, pourtant régulièrement propice à cela même pour un spectateur lambda… alors pour lui qui peut rire de tout, ce silence fut surprenant.
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