mercredi 25 juin 2014

« Drug War » : Johnnie To frappe fort mais revient en France par la petite porte

Où est passé Johnnie To ? Combien d’amateurs de cinéma hongkongais (et de cinéma tout court) se sont posé la question ces derniers temps ? Il y a tellement de films à voir chaque jour, qui plus est à Paris, que les mois peuvent filer avant que l’on se rende compte qu’un cinéaste aussi prolifique que Johnnie To n’est plus à la mode auprès des distributeurs français. Plus autant, tout du moins.

Souvenez-vous des années 2000, époque bénie si récente où nous avions droit à notre Johnnie To annuel en salles. « The Mission », « Breaking News », « Election », « Exilé »… C’était devenu un rendez-vous incontournable qui revenait tous les douze mois au même titre qu’un Woody Allen ou un Hong Sang-soo (dans des genres diamétralement opposés bien sûr), et le cinéaste était tellement ancré dans le paysage cinématographique contemporain, ses films s’arrêtant au passage par les compétitions cannoise ou vénitienne, que l’on aurait pu croire que les choses continueraient ainsi pour longtemps encore.

Et puis un jour, on se réveille en se rendant compte que les films de To se font moins présents dans les salles, menaçant de rester tout simplement absents des grands écrans hexagonaux. Depuis Vengeance au printemps 2009, il y a donc cinq ans, seul un film du réalisateur a eu droit à un passage sur grand écran en France, « La vie sans principes », il y a deux ans.

Johnnie To n’a pourtant pas arrêté de tourner, il suffit de jeter un œil sur IMDb pour confirmer qu’il tourne toujours un ou deux longs-métrages chaque année. Il continue et l’an dernier l’un de ses récentsfilms, « Drug War », est allé remporter le Grand Prix au Festival du Film Policier de Beaune, si bien qu’il a même été question un temps que celui-ci sorte en salles en France. Jusqu’à ce que son distributeur Metropolitan se ravise et décide finalement, à la tristesse cinéphile générale, de sortir le film directement en DVD il y a quelques jours. Cependant je suis un privilégié puisque quelques projections ont été organisées sur grand écran, et j’ai eu la chance d’assister à l’une d’entre elles.

L’opportunité de revoir enfin un film de Johnnie To en salle obscure était irrésistible, qui plus est le bien réputé « Drug War ». Le cinéaste hongkongais y suit un inspecteur des stups chinois tentant de mettre la main sur un gros trafiquant, en utilisant un des hommes de main de celui-ci qui s’est fait arrêter et risque la peine de mort. Sun Honglei et Louis Koo prêtent respectivement leurs traits au flic et au prisonnier collabo pour un film vient rappeler pourquoi on aime le cinéma de Johnnie To. Du cinéma puissant, à l’intrigue alambiquée et pourtant limpide qui laisse la part belle à la mise en scène. Avec comme point d’orgue un gunfight en pleine rue (avec une utilisation des voitures réjouissantes), où le jusqu’auboutisme des coups de feu échangés et des cadavres empilés confine au comique, alors qu’en permanence la maîtrise de l’espace dans le cadre de To nous explose à la figure.

Décidément, vivement le prochain Johnnie To sur grand écran…

jeudi 5 juin 2014

Whiplash : ça claque à la reprise des films de Cannes !

Il est un rendez-vous cinéphile parisien que je ne manque sous aucun prétexte chaque année, c’est celui de la reprise des films de la Quinzaine des Réalisateurs, d’Un Certain Regard et de la Semaine de la critique, quelques jours après leur découverte au Festival de Cannes. C’est dans ce cadre-là que j’avais vu « The Host » de Bong Joon-ho au printemps 2006, et d’année en année, je viens y chercher les nouvelles pépites de Cannes.

Voilà, nous sommes en plein dedans, alors qu’au Reflet Médicis, la reprise d’Un Certain Regard vient de s’achever, celle de la Quinzaine au Forum des Images bat son plein tandis que celle de la Semaine de la Critique démarre à la Cinémathèque Française. Au Reflet, je me suis faufilé devant « Jauja », le film argentin de Lisandro Alonso qui plonge Viggo Mortensen dans la Patagonie du 19ème siècle à la recherche de sa fille échappée. Un film lancinant et hypnotique qui tend vers le fantastique, quelque chose de Bergmanien au pays du maté.

Je me suis invité devant deux films coréens également, la chronique provinciale « A Girl at my door » (Doheeya) issue d’Un Certain Regard et le thriller « A Hard Day » issu de la Quinzaine des Réalisateurs, mais non, je n’en dirai rien, ma fonction au sein du Festival du Film Coréen à Paris (qui au passage se tiendra du 28 octobre au 4 novembre cette année) me bâillonnant sur le sujet.

Et puis il y a eu « Whiplash ». Salle 300 du Forum des Images, un samedi soir à 20h, après avoir couru depuis le Reflet Médicis pour ne pas en rater le début. Whiplash qui n’a pas fait trop de bruit dans la presse française pendant le festival, mais qui ne manquera pas de faire parler de lui cet hiver quand il sortira en salles, j’en suis sûr. Whiplash, un film qui porte si bien son titre (« coup de fouet ») tant on en sort revigoré, excité, heureux. La simplicité comme mot d’ordre, mais pas une simplicité péjorative. Une clarté si vous préférez, avec assez peu de personnages, peu d’intrigues parallèles, tout est concentré sur Andrew, 19 ans, étudiant en première année dans une prestigieuse école de musique, qui rêve d’être un des plus grands batteurs que le jazz ait connu. C’est pour cela qu’il s’est inscrit dans cette école, et c’est pour cela qu’il veut se faire remarquer par Fletcher, le professeur star de l’école, qui dirige un groupe de jazz que tous les élèves de l’école rêvent d’intégrer.

Le rêve est grand, et la marche à franchir pour l’atteindre est immense, tant Fletcher est aux étudiants ce qu’un sergent-instructeur est aux Marines américains. Ce qui apporte une gouaille jouissive au personnage du professeur, campé à la perfection par J.K. Simmons. L’homme est à la fois irritant et hilarant, et c’est lui qui donne le tempo que doit apporter en face Miles Teller, décidément un jeune acteur prometteur après sa belle interprétation dans « The Spectacular Now » en début d’année.

Tout est affaire de tempo, et d’énergie. « Whiplash », c’est tout l’art cinématographique du climax mis en application. C’est une tension qui va crescendo, une montée en puissance discrète mais indéniable. Et quand on croit que c’est terminé, c’est là que tout à coup la jubilation explose, les sens sont mis à contribution, et le film nous place dans un moment d’euphorie cinématographique incroyable, dix minutes pendant lesquelles le réalisateur nous agrippe avant de nous abandonner d’un claquement de doigt en pleine extase. La sensation est rare, et la ressentir ainsi devant un « petit » film, ressentir cette joie, cette intensité, alors le petit film gagne en grandeur. Non, ce n’est vraiment plus un petit film. Sundance, qui lui a décerné ses prix, a eu raison. La Quinzaine des Réalisateurs, qui l’a invité, a eu raison. Nous avons eu raison, les spectateurs de la salle 300 du Forum des Images, ce samedi soir, d’être allé jeter un œil à ce drôle de petit film où un étudiant joue à la batterie jusqu’au sang devant un prof qui lui hurle dessus. Et ce climax explosif, je connais des films Hollywoodiens qui auraient aimé en fournir ne serait-ce que 15%, d’une intensité pareille, dans leurs derniers actes.

Alors Hollywood, prends-en de la graine. Retenons le nom du réalisateur Damien Chazelle. Et moi, je vais peut-être me mettre à la batterie.
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