lundi 18 février 2013

Petites cuillères, Sestostérone et San Francisco, ou le récit d’une séance déjà historique à Panic ! Cinéma


Il y a des films comme ça… Le commun des mortels ne les connaissent pas. Les cinéphiles qui ne jurent que par l’excellence et le bon goût non plus, ou du moins s’ils en ont entendu parler ne les regardent qu’avec dédain. Des incongruités cinématographiques qui dans un monde parfait n’auraient peut-être pas lieu d’être et qui aux yeux de certains ne sont peut-être que des monstres. Mais il existe des amateurs de cinéma pour lesquels la perfection n’existe pas, pour lesquels le bon goût n’est pas obligatoire, pour lesquels le génie peut aussi se cacher dans l’erreur, dans le raté, dans l’impossible. Parce que le spectre cinématographique va d’une extrémité à une autre et que certains d’entre nous y prennent plaisir à chaque degré possible.

Et au royaume de ces films de l’ombre, il est des films qui règnent avec des réputations de Citizen Kane du nanar. Des films devenus des trésors et leurs cinéastes des stars parce qu’ils dépassent l’entendement. Voici le rendez-vous qui était le nôtre le samedi 16 février 2013. Une date marquée du sceau de l’Histoire pour tout cinéphile complet qui se respecte, pour tout dévoreur de nanar qui se délecte de la possibilité de voir ces vilains petits canards sur grand écran. Car en ce jour, Panic ! Cinéma nous a offert rien moins que la Première Française de « The Room » de Tommy Wiseau. Hein ! What ?? Quoi !!! Le connaisseur résidant en province est fou de jalousie et se dit qu’on a de la chance à Paris ! Le non-averti se demande « The quoi ? » de Tommy qui ? C’est quoi ce film ? J’espère bien qu’à la fin de ce billet, ceux qui n’en ont jamais entendu parler le noteront sur leur liste des films à voir à tout prix avant de mourir.

Moi, le film figurait sur ma liste depuis quelques années, mais il était désespérément invisible sur les écrans français. J’aurais pu le trouver par d’autres moyens facilement, mais vous me connaissez (peut-être). Le jour où « The Room » est apparu sur le programme de Panic ! Cinéma, je crois que j’ai crié un puissant « Alléluia !! » qui a réveillé mes voisins. Quelques semaines plus tard j’ai hurlé un énorme « NOOOOOOOON » lorsque j’ai voulu réserver ma place sur Internet et que la séance était déjà complète. Mais sous le nombre croissant de cris désespérés de spectateurs avertis qui comme moi se sont retrouvés sur le carreau, les gars et les filles de Panic !, ainsi que le Nouveau Latina qui accueille leurs folies tous les samedis soirs, ont décidé exceptionnellement de rajouter une séance à 19h30 à la sacro-sainte séance de 22h. Et quand les réservations pour la séance de 19h30 se sont envolées en quelques heures elles aussi, ils en ont même rajouté une à 17h (ils sont comme ça à Panic).

Et ainsi en un claquement de doigts magique, « The Room » s’est retrouvé programmé pour trois projections exceptionnelles le samedi 16 février 2013. J’ai entendu dire que Plastic Man était à la première des trois séances, toujours fidèle à la programmation de Panic ! Cinéma. Moi j’étais à celle de 19h30. Au moment d’entrer en salle, l’équipe de Panic distribuait des petites cuillères en plastique et un « Guide du spectateur » pour nous donner quelques instructions pour vivre au mieux cette séance participative. Pour ceux qui n’ont jamais vécu une séance participative, il s’agit là d’encourager le public à interagir avec l’écran et l’œuvre qui y est projetée. D’où les petites cuillères, car dans « The Room », les héros ont des photos de petites cuillères encadrées sur leurs tables, et à chaque fois que celles-ci apparaissaient à l’écran, le mot d’ordre était de lancer une petite cuillère dans la salle en criant « SPOON !! ».

Mais il n’y avait pas que les petites cuillères à lancer. Il y avait aussi les cris à exprimer en fonction de ce qui se passait à l’écran.  Mais je vais trop vite. Avant de parler de cela, il s’agit de dire un mot sur le film, pour mieux comprendre les interactions. « The Room », premier (et à ce jour unique) long-métrage écrit, produit, réalisé et interprété par Tommy Wiseau, suit un triangle amoureux. Johnny vit avec Lisa et doit l’épouser dans quelques semaines. Il l’aime, et est heureux. Son meilleur ami se nomme Mark. Tout va pour le mieux. Jusqu’à ce que Lisa séduise Mark et qu’une liaison naisse entre les deux à quelques jours du mariage. Il y a aussi Denny, le voisin étudiant qui est comme un fils pour Johnny ; Michelle, la copine de Lisa qui passe chez Johnny et Lisa quand ils ne sont pas là pour fricoter avec son mec ; ou Claudette, la mère de Lisa qui sermonne sa fille lorsque celle-ci lui révèle qu’elle n’aime plus Johnny, parce que comme Claudette lui rappelle, Johnny a une bonne situation et peut l’entretenir alors pourquoi diable aller voir ailleurs. Alors que ce pauvre Johnny lui ne se doute de rien et compte les jours avant le mariage.

Voilà, le cadre est posé. Oui, toi au fond à droite qui a dit « Mais en fait The Room c’est un peu Les Feux de l’amour en long-métrage non ? », tu as un peu raison. D’autant que le film de Tommy Wiseau n’a de cinématographique que la durée, car pour ce qui est du reste, un épisode des Feux de l’Amour a peut-être plus de qualités que « The Room ». Sauf que voilà, c’est là tout ce qui fait le plaisir immense que procure le film de Tommy Wiseau. C’est un vaste n’importe quoi qui peut se targuer d’afficher tous les défauts du monde. Mauvais acteurs, check (Tommy Wiseau en tête, si mauvais qu’il rend chacune de ses scènes grandiose). Mauvais dialogues, check. Mauvais sens du récit, check. Photographie horrible, check. Plans de coupes sans intérêt, check. Scènes de cul ridicules, check. Je vais m’arrêter là sinon mon billet ne serait qu’une suite de défauts énumérés. Mais c’est bien cela qu’est « The Room », cela même qui le rend si génial : un foutoir laid, mal écrit, mal joué et mal réalisé. Et c’est cela que l’on a célébré au Nouveau Latina samedi soir. Nous avons célébré en communion la médiocrité divine d’une œuvre à laquelle la France n’avait jusqu’ici, dix ans après sa réalisation, jamais eu droit.

Dans notre petit « guide du spectateur », nous fûmes donc encouragés à crier « Oh Hi ! » à chaque fois que le bon bougre Johnny (Tommy Wiseau, donc) disait bonjour à un autre personnage, par politesse. A crier « Oh mais c’est San Francisco ! » à chaque fois que l’un des nombreux plans montrant la ville apparaissait à l’écran. A crier « Au revoir Denny ! » à chaque fois que le petit Denny quittait une scène (faut dire que le gamin - 18 ans sonnés quand même - essayait de s’incruster dans les parties de jambes en l’air de Johnny et Lisa, faut pas pousser quand même). A crier « Sestostérone !! » à chaque fois que le beau Greg Sestero, interprète de Mark, prenait une pose virile à l’écran (et il y en avait pas mal…).

Voilà, vous avez désormais une idée de l’ambiance pendant les projections de « The Room ». Les petites cuillères en plastiques fusaient, les bons mots aussi (bravo à celui qui a crié "C'est déjà demain ?"), même si les quatre mecs assis derrière moi en faisaient un peu trop (c’était les mêmes que pour « Clash of the Ninjas » ou quoi ?!), commentant tout, tout, TOUT, absolument TOUT, et discutant allègrement entre eux bien fort en essayant (sans succès) de faire rire la salle (en même temps confondre les termes « Marcadet » et « Marcassin » n’a pas aidé) en ne restant jamais plus de trois secondes sans parler. Encore quelques-uns qui n’ont pas compris le principe d’une séance participative, des vannes qui claquent et fusent plutôt qu’un brouhaha continu. Mais bon, le film était trop bon (façon de parler) pour que cela le gâche réellement. Les personnages qui s’assoient n’importe où dans le cadre, par terre derrière un fauteuil plutôt que sur le fauteuil, les mecs qui s’envoient leur ballon de foot sans que le cadreur ne prenne pas la peine de tous les inclure dans le cadre….

Mais le summum, outre ce « Lisa, tu peux nettoyer ? » après que Johnny et Mark se soient bastonnés et aient mis un beau bordel dans l’appart, grand moment de machisme, ce sont les scènes d’amour entre Lisa et Johnny ou entre Lisa et Mark (oui, elle a été traité de tous les noms par le public la Lisa). Des scènes dignes d’un téléfilm érotique des années 90 sur M6 avec chanson kitsch, fessier de Tommy Wiseau en action et des petits « Oh oui » orgasmiques absolument magiques. En plus chaque scène du genre dure quatre ou cinq minutes, plus qu’il n’en faut pour nous éclater.

La cerise sur le gâteau, c’est que Tommy Wiseau et Greg « Sestostérone » Sestero étaient présents pour introduire le film puis en fin de séance pour répondre aux questions. Réponses furtives et laconiques, mais leur présence a prouvé une chose. Si Wiseau a pu à l’époque réaliser son film au premier degré et espérer qu’il se fasse remarquer pour ses qualités (hum…), sa présence a bien prouvé que l’acteur/réalisateur/producteur/scénariste a compris qu’il avait plus à gagner à accepter et embrasser le nanar dont il a accouché plutôt que s’en défendre. Car quoi que l’on puisse en penser, il n’est pas donner à tout le monde de réaliser une œuvre aussi sublimement grotesque que celle dont Tommy Wiseau est le créateur. Il a manifestement appris à en jouer et à devenir cette rock star du nanar, passant entre les rangs pour toper les spectateurs en transe derrière ses lunettes noires et faisant la démonstration de son rire inimitable.

Je n’avais jamais vu « The Room », LE nanar des années 2000. Je me doutais que c’était mauvais au point d’en être savoureux. C’était encore mieux que ça. Quand la médiocrité confine au génie.

jeudi 7 février 2013

J’ai croisé le héros de mon enfance

Tout a commencé par un coup de fil. Une journée en apparence comme une autre. Du boulot, une matinée engagée, et tout à coup le téléphone qui sonne. Une collègue qui ne bossait pas ce jour-là. « David, c’est Julie. Dis-moi… je suis à la Cité U là… et y a un tournage… et… c’est possible qu’il y ait Kevin Costner sur le tournage ? Parce que là je vois un mec, j’ai l’impression que c’est Kevin Costner… ». A partir de ce coup de fil, la journée n’a plus été la même. Bien sûr que c’était possible, puisque depuis quelques semaines, Costner tourne à Paris une production EuropaCorp, « Three days to kill », réalisée par McG (oui, je sais, celui de « Charlie et ses Drôles de Dames »…), alors que l'acteur sera en 2013 à l'affiche de "The Man of Steel", un nouveau reboot de Superman, et de "Jack Ryan" de Kenneth Branagh.

Bref il y a eu ce coup de fil qui m’annonçait que Kevin Costner se trouvait en ce moment même à moins de dix minutes à pied du lieu où je me trouvais. Dix minutes à pied. Voilà des semaines que je sais que Costner tourne à Paris, des semaines que j’espère tomber sur le tournage du film, tomber sur lui, j’en avais presque abandonné l’espoir. Je ne sais pas quel âge vous avez, vous qui lisez ces lignes, je ne sais pas si vous regardiez beaucoup de films lorsque vous étiez enfant, je ne sais pas si vos parents vous emmenaient au cinéma… Moi je suis né en 1981. J’ai vu mes premiers films dans la seconde moitié des années 80. Je suis entré dans l’adolescence au début des années 90. Mes parents m’emmenaient au cinéma une fois par semaine, et avec ma sœur, nous regardions nos films préférés en VHS. Et à cette époque, la plus grande star de cinéma, c’était Kevin Costner. Mais plus important encore, il était le héros de mon enfance.

Je l’ai vu lutter contre Al Capone dans « Les Incorruptibles », défier le shérif de Nottingham dans « Robin des Bois, Prince des Voleurs », embrasser le destin des sioux dans « Danse avec les Loups », protéger Whitney Houston d’un détraqué dans « Bodyguard ». Bien sûr avec le recul, tous ses films n’étaient pas extraordinaires, mais quand j’avais 12 ans, il n’y avait pas un acteur à Hollywood qui lui arrivait à la cheville. Il était celui dont les filles étaient folles, celui que les garçons voulaient être. Près de vingt années ont beau avoir passé, vingt autres peuvent passer encore, Kevin Costner a été mon premier héros hollywoodien, et quel que soit le cinéphile que je suis devenu aujourd’hui, quel que soit celui que je serai demain, il restera l’une des pierres angulaires de mon amour du cinéma.

Au fil des années, même si son aura a clairement diminué dans le petit carnet du pouvoir hollywoodien, l’étoile de Costner n’a pas cessé de briller dans mon panthéon personnel, grâce à « Open Range », « Les bienfaits de la colère » ou « Company men ». Alors quand j’ai entendu ces mots à l’autre bout du fil (je ne remercierai jamais assez Julie), quand j’ai appris que Kevin Costner était là, mon souffle s’est arrêté un court instant, le monde a cessé de tourner, j’ai attrapé ma veste et j’ai détalé vers le campus de la Cité Universitaire. J’ai monté la passerelle, j’ai traversé le parc avec cette pointe d’excitation digne des grands rendez-vous. J’ai vu les camions de tournage, j’ai contourné le bâtiment principal, et je me suis retrouvé sur le plateau de « Three days to kill » en un rien de temps.

Des dizaines de figurants, étudiants pour la plupart, se mettent en place, je me poste à une dizaine de mètres de McG, de ses assistants et opérateurs. Je n’ai pas l’impression de gêner, alors je reste. Une minute à peine après que je sois arrivé, le réalisateur crie « Action ! », comme s’ils n’avaient attendu que moi. Au moment où McG lance le top, la scène prend vie, des dizaines d’étudiants sortent du bâtiment principal de la Cité U, d’autres passent dans un sens ou dans l’autre. La caméra est perchée et filme au loin. Une cinquantaine de mètres nous séparent de l’entrée du bâtiment, et avec tout ce monde, difficile de déterminer en un clin d’œil quel est le centre de la séquence.

Au bout de quelques dizaines de secondes pourtant, un groupe attire mon regard. Un homme, une femme, une jeune fille qui vient manifestement de sortir du bâtiment. Se pourrait-il que l’homme soit Costner ? Il est à une cinquantaine de mètres, des étudiants circulent dans tous les sens, difficile à dire. La femme s’engouffre alors dans un taxi, et après quelques secondes, McG crie « Cut ! ». Je garde les yeux sur l’homme. Il se tourne dans ma direction et s’approche avec la jeune fille. Quarante mètres, trente mètres, vingt mètres. C’est lui. Il se dirige vers une tente, je décide de me diriger moi aussi vers elle, il entre dedans avec Hailee Steinfeld (la gamine de « True Grit », qui a grandi) au moment où je me trouve devant l’autre bout de la tente. Il la traverse et en un instant est là, devant moi, à un mètre. Ses yeux se plantent dans les miens. Le temps s’arrête et en une fraction de secondes, je revois sa chevauchée sur le front de la Guerre de Sécession en ouverture de « Dance avec les loups », je le revois allongé dans l’herbe, un rayon de soleil dans les yeux, dans « Un monde parfait », je le revois clamer son plaidoyer final dans « JFK ». En une seconde je revois toutes ces images du héros de mon enfance alors que nos regards se croisent, qu’il passe devant moi et disparaît dans un bâtiment derrière moi.

J’ai un instant effleuré l’idée de lui dire un mot, de lui serrer la main ou que sais-je. Mais je suis resté planté là, coi, un sourire collé aux lèvres qui ne me quittera ensuite pas de la journée. Eliot Ness, Tom Farrell, Ray Kinsella, John Dunbar, Jim Garrison, Butch Haynes… J’ai grandi avec eux, grandi avec lui. J’en ai vu et croisé des acteurs américains, et si cela m’a toujours fait plaisir, j’en suis toujours revenu très vite. Mais aujourd’hui, je n’ai pas croisé un acteur américain. J’ai croisé le héros de mon enfance.
over-blog.com