vendredi 30 septembre 2011

J'ai traîné les pieds devant "Les Bien-Aimés"

Qu’il me semble loin le temps où je me rendais guilleret à la projection d’un film de Christophe Honoré. C’était pourtant hier, lorsqu’il enfermait Romain Duris, Louis Garrel et Guy Marchand dans un appartement parisien, ou qu’il nous faisait découvrir les belles chansons d’Alex Beaupain dans la bouche de Ludivine Sagnier et Clotilde Hesme. C’était hier, même pas cinq ans, mais entre temps, les films se sont fait au choix trop attendu (La belle personne), trop énervant (Non ma fille tu n’iras pas danser), voire pas désirable du tout (Homme au bain). Ces quatre dernières années furent une longue descente, de la déception vers la quasi indifférence.

2011 aurait pu être l’année du sursaut avec Les Bien-Aimés. En faisant la clôture de Cannes et en alignant à son casting Catherine Deneuve, Chiara Mastroianni, Ludivine Sagnier, Louis Garrel, et même les improbables Milos Forman et Michel Delpech, le nouveau Christophe Honoré se faisait de nouveau désirable. Il était question de chansons, de Paris, d’amour(s). Pourtant là n’était pas la curiosité des Bien Aimés. La curiosité de Bien Aimés, ou son génie sur le papier, au choix, c’était la présence au générique, improbable celle-là aussi, de Paul Schneider.

Paul Schneider pour les nombreux qui ne le connaissent peut-être pas, est un acteur américain habitué des seconds rôles discrets outre-Atlantique. On l’avait encore vu au printemps dernier dans De l’eau pour les éléphants, oui oui le film avec Robert Pattinson. Le jeune homme d’aujourd’hui à qui le vieil Hal Holbrook racontait ses aventures de jeunesse sous les traits de l’acteur de Twilight, c’était lui. Le dragueur de la bande à Jesse James dans le magnifique L’assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford, c’était lui. Le beau-frère de Ryan Gosling qui voyait une poupée gonflable débarquer chez lui dans Une fiancée pas comme les autres (photo de droite), c’était encore lui.

Paul Schneider n’est peut-être pas de ces acteurs promis à la gloire, mais il est de ceux qui se glissent si parfaitement dans leurs personnages qu’ils ne déçoivent jamais. Il est même capable, en toute discrétion de laisser passer un romantisme teinté d’amertume, comme dans Bright Star de Jane Campion et surtout, en haut de l’affiche, dans le film qui l’a révélé et dans lequel je l’avais découvert, All the real girls de David Gordon Green, à l’époque où celui-ci tissait des drames poignants (non que je déprécie par là son revival humoristique).

La présence au générique des Bien-aimés de Paul Schneider a été mon moteur pour me diriger vers Le Cinéma du Panthéon alors que le film était en fin de parcours après une carrière un peu décevante. Ce ne pouvait être qu’une flagrante preuve de goût de la part de Christophe Honoré, après toutes ces déconvenues mentionnées plus haut. Aller chercher cet acteur américain-là n’est pas un choix anodin. Dans le film, il campe Henderson, le batteur exilé à Londres qui fait battre le cœur de Chiara Mastroianni. Mais la présence de Schneider n’a pas suffi à faire naître l’étincelle que je ne trouve plus dans le cinéma d’Honoré. L’ennui m’a vite gagné devant cette épopée romantique et chantée traversant les décennies et les grands évènements pour raconter l’histoire de ses protagonistes.

L’ambition est grande, mais le résultat peu emballant. La grande histoire est amenée trop facilement dans la petite, les numéros musicaux accrochent peu l’oreille, la narration est désespérément linéaire, et Catherine Deneuve est toujours aussi engoncée et coincée, n’en déplaise aux « couilles » et autres mots salaces que les scénarios peuvent lui faire prononcer. Finalement, c’est dans son dernier acte qu’Honoré parvient à éveiller l’intérêt, mais l’on se rend vite compte qu’il ne s’agit là en fait qu’une redite des Chansons d’amour (à l’image de l’affiche du film…), avec la mort inattendue, le deuil, l’absence, et les chansons pour tourner la page. L’émotion affleure, mais une émotion trop facile de la part du réalisateur.

Christophe Honoré m’a berné avec Paul Schneider. En fin de compte, je me suis laissé trop facilement distraire par cette voisine dans la salle du Cinéma du Panthéon qui changeait de place en cours de projection, et par ce ticket de métro qui trainait dans ma poche et avec lequel je jouais. Tout pour ne pas trouver le temps long. Tout pour ne pas constater que Christophe Honoré ne parvient pas à sortir de sa zone de confort.

mercredi 28 septembre 2011

Dans l'obscurité d'une grotte, le Publicis confond VF et VO

Le Publicis est l’un de mes cinémas préférés de Paris. Je m’en cache rarement, mentionnant régulièrement les deux salles du haut des Champs-Élysées dans mes billets, louant la qualité de projection absolument irréprochable du cinéma le plus agréable de la plus célèbre avenue parisienne, mais également sa programmation parvenant à se démarquer. Le confort, le public sage, l’accueil impeccable en font un cinéma incontournable. Et où donc, sinon au Publicis, aurais-je enfin pu voir Votre Majesté au début du mois, sortie technique sacrifiée mais plutôt réjouissante malgré une réputation peu flatteuse ? Je n’aurais pas pu, tout simplement.

La comédie de David Gordon Green n’est certainement pas la plus mémorable de l’année, mais les facéties de Danny McBride et le duo qu’il y forme avec son improbable valet m’ont plus déridé que toutes les comédies américaines de l’été (réunies ?). Je me demande encore à quel point le père qui se trouvait le rang derrière moi dans la salle s’est trouvé mal à l’aise devant le film, ayant décidé d’y emmener son fils qui n’avait pas l’air d’avoir plus de 11 ans. Le paternel peu alerte sur l’humour du film qu’il s’apprêtait à voir vantait à son fiston les aventures et les dragons qu’ils verraient à l’écran, quand en réalité, il s’agissait plus d’humour salace, de blagues sous la ceinture, et de pénis de minotaure porté comme un trophée. Hum… pas évident à voir avec son gamin j’imagine, s’il s’attendait à une aventure pour toute la famille.

Mais je m’écarte de mon sujet, car en commençant à écrire ces lignes, l’intention n’était pas de louer le Publicis, mais de lui pousser un coup de gueule mérité. Plus d’un mois après sa sortie en salles, j’étais cette semaine déterminé à voir La grotte des rêves perdus de Werner Herzog, le documentaire que le cinéaste allemand a consacré à la grotte de Chauvette en Ardèche. Une plongée en 3D dans l’un des sanctuaire de la peinture rupestre, inatteignable pour le public, l’héritage des hommes préhistoriques étant interdit d’accès à d’éventuels visiteurs par souci de conservation de ce trésor de l’humanité. Herzog a été exceptionnellement autorisé à tourner dans la grotte, à laisser sa caméra glisser sur les murs peints, à s’enfoncer dans ces entrailles terrestres mystérieuses et fascinantes, à interroger les scientifiques travaillant à percer ses secrets et son histoire.

A l’origine, je ne tenais pas à voir La grotte des rêves perdus, la faute à une bande-annonce en VF peu enthousiasmante (les scientifiques français parlant à l’évidence en anglais mais doublés par leurs propres soins en français avaient quelque chose de ridicule). Mais la critique a peu à peu fait naître le désir en moi, contre toute attente, criant à la beauté de la 3D. Lorsqu’enfin je me suis décidé à aller le voir, je me suis promis deux choses. La première, de voir le film en 3D, tant il apparaissait que celle-ci était un véritable atout pour le documentaire de Herzog. La seconde, de le voir en VO. Hors de question de le voir en VF à la vue de cette bande-annonce peu probante.

Lorsque le film est alors apparu sur le programme du Publicis, pour une projection en VO et en 3D, l’affaire était emballée, et le rendez-vous pris en fin de semaine d’exploitation, un mardi soir. Après les pubs et bandes-annonces (Another Earth, alléchant !), le film commence… avec la narration en français avec accent germanique de Volker Schlöndorff, que je savais s’occuper de faire la voix-off dans la version française du film en lieu et place de Werner Herzog en VO. Mille pensées se sont alors bousculées dans mon esprit… « Merde, il faut que je sorte leur dire qu’ils se sont plantés ! »… « Attend c’est peut-être juste la voix-off qui est en français… »… « Non c’est pas possible c’est Herzog lui-même qui narre le film en VO »… « Ils sont au courant qu’ils ont pas mis la bonne version ? »… « Attend t’es sûr que c’était écrit VO sur le programme ? »… « Mais oui je suis sûr »… « Bon de toute façon ça va rien changer si je monte me plaindre, et de toute façon si je le vois pas en VF maintenant je risque de pas le voir du tout en 3D au ciné, tant pis »…

Il s’en bouscule des réactions dans le cerveau quand on est pris de court et déçu à l’ouverture d’un film. Le cinémaniaque en moi bouillonne devant cette traîtrise du Publicis. Je viens chez eux expressément pour voir le film en VO, et je me retrouve devant une VF agaçante. Oui, la VF est vraiment agaçante. Quelle idée de faire une VF d’un tel documentaire, mais là c’est le distributeur Metropolitan qu’il faut blâmer pour une telle hérésie. Certes presque tous les intervenants sont français, et certains parlent même directement dans notre langue à l’écran… mais une bonne partie du temps, les scientifiques français interrogés dialoguent en anglais avec Werner Herzog, et plutôt que des sous-titres, voilà que c’est le scientifique lui-même qui se double en français (avec accent florissant du sud pour la plupart). Mais attention, pas un doublage synchrone comme dans un film américain, non, le doublage est désynchronisé, et le doublage en VF chevauche la version originale en anglais, comme dans un bon vieux reportage de JT de sous les fagots avec le journaliste qui double lui-même ce que son interviewé raconte.

Précisément le genre de VF qui peut à la limite passer pour un reportage que l’on regarde d’un œil à la télé, mais qui sur grand écran gâcherait presque un film. Mais comment les mecs de Metropolitan peuvent-ils oser nous sortir un doublage aussi bas de gamme ?! Devant cette exploration spéléologique qui confère parfois au sublime et requiert que nos sens soient en éveil et les plus attentifs possibles, un tel doublage déconcentre et atténue l’effet que pourrait procurer cette plongée en 3D quasi hypnotique parfois. Je voudrais oublier qu’il s’agit d’un film, oublier la salle de cinéma, oublier ces pesantes lunettes et m’absorber pleinement dans ce voyage à travers le temps où ce que l’on voit à l’écran n’a plus bougé depuis des milliers d’années, mais cette VF balbutiant par-dessus la VO m’en empêche. (A bien y réfléchir, le film aurait gagné à moins faire intervenir les scientifiques, dont les commentaires sont parfois étonnamment surjoués et peu passionnants)

Heureusement, de temps en temps, les français parlent en français, et j’oublie quelques minutes que dans les minutes qui suivront, d’autres parleront en anglais redoublés par-dessus. Alors quoi, personne au Publicis ne s’est-il rendu compte que le film qu’ils projetaient était en VF et non en VO comme annoncé sur leur programme (aussi bien sur Internet qu’à l’entrée de la salle…) ? Estiment-ils que cela n’a après tout pas d’importance étant donné que le film est tourné en France et figure de nombreux intervenants français ? N’estiment-ils pas nécessaire de prévenir le spectateur, à la caisse, que le film est en fait en VF et non en VO comme annoncé ? Ou bien tout ceci n’est-il que de la faute de Metropolitan qui ne fait en réalité circuler le film que dans cette VF désastreuse (même si cela n’expliquerait pas la mention de VO dans le programme) ?

Mon histoire d’amour avec le Publicis en a pris un sérieux coup. Espérons qu’elle n’aura plus à souffrir de telles déceptions à l’avenir… Malgré cette déconvenue, je ne peux passer sous silence l’une des merveilles du film d’Herzog : la 3D. J’ai trouvé avec La grotte des rêves perdus le meilleur usage fait de la technique au cinéma ces deux dernières années. Jamais l’immersion en relief n’a été plus valorisante et plus indispensable que dans le film de Herzog, qui parvient à nous faire frôler ce pan si délicat du passé qui nous est invisible dans la réalité, mais prend forme avec grâce sur grand écran. Voilà enfin un film qui prouve que la 3D peut servir un film et non le desservir. Cette découverte valait bien de ronchonner un peu.

mercredi 21 septembre 2011

Le Festival Franco-Coréen du Film 2011 arrive !

Mon premier souvenir du Festival Franco-Coréen du Film remonte à quatre ans, alors que la manifestation en était à sa seconde édition. En ces jours de décembre 2007, j’étais allé voir trois films, The Unforgiven, Boys of Tomorrow et Family Ties. Cela me semble avoir eu lieu il y a une éternité, tant ma relation à la Corée et au cinéma coréen a grandi, et tant le FFCF lui-même a su évoluer et se faire une place incontournable dans le paysage cinéphile parisien chaque automne. Il y a encore trois ans, les spectateurs étaient épars dans la salle pour l’avant-première évènementielle de The Chaser, passé auparavant par Cannes, tandis que l’année dernière, le festival faisait salle comble avec The Man from Nowhere, succès surprise au box-office coréen 2011.

Depuis les premières éditions, le FFCF se veut une mise en lumière d’un cinéma d’auteur coréen méconnu et souvent invisible en Europe hormis quelques auteurs bien vus à Cannes. Mais cette année, les programmateurs semblent entériner un désir d’ouverture, et affichent un réel effort d’offrir un panorama du cinéma coréen, avec ce que cela comporte de grands écarts entre les genres, entre les budgets et entre les formes d’un film à l’autre. Il y a quelques jours, le programme officiel de l’édition 2011, qui aura lieu du 11 au 18 octobre prochain, a été dévoilé, et sur le papier, difficile de ne pas se pourlécher les babines cinéphiles devant la variété des films annoncés.

Ce qui saute aux yeux dans ce programme, c’est cet équilibre annoncé entre le populaire et l’art et essai, entre l’accessible et le pointu, qui fait toute la richesse d’un festival. Un « paysage » récent du cinéma coréen entre fictions et documentaires, une compétition de courts-métrages, des avant-premières de prestige, un cinéaste mis à l’honneur, des classiques du cinéma coréen : comme chaque année, il y en aura pour tous les goûts au FFCF.

J’ai hâte de découvrir en ouverture Sunny, plus gros succès du BO coréen cette année, en présence de son réalisateur. J’ai hâte de plonger dans l’univers étrange de Anti-Gas Skin, de me perdre dans les méandres de plus de trois heures de Café Noir, de voir en personne Jung Yumi, une actrice presque emblématique du FFCF d’année en année (l'année dernière elle était à l'affiche de Oishi Man et The Room Nearby, cette année elle vient présenter deux autres long-métrages). J’ai hâte de voir de vieux films coréens et leurs remakes dans la section KOFA Classiques, de repérer la nouvelle perle du cinéma local dans les courts-métrages, de voir la Corée d’un œil neuf avec la sélection de documentaires. J’ai hâte de passer d’un de ces documentaire pointus au délire annoncé d’un samedi soir potentiellement nanaresque mais délicieux avec Invasion of Alien Bikini. J’ai hâte de voir les fantômes de Hello Ghost, les duels contemporains de The Code of a Duel, et d’entendre la voix de Choi Min-Sik dans le film d’animation de clôture Leafie.

Je ne vais pas vous lister la totalité des films que je boue de découvrir, pour cela il vous suffit d’aller trouver la liste intégrale sur le site officiel du festival. Ces dernières années, le festival investissait l’Action Christine. Nous avions la tranquille rue Christine pour nous seuls, pour attendre sous la pluie que les portes ne s’ouvrent, pour discuter passionnément à la sortie des films qui nous avaient déçus ou enthousiasmés. Cette année, le festival déménage au Saint-André des Arts, dans le même quartier. Le festival y gagnera en exposition ce qu’on y perdra en tranquillité une fois les films terminés et la rue retrouvée. Mais si cela permet d’attirer des curieux plus nombreux, on ne pourra que s’en réjouir. Rendez-vous donc le 11 octobre prochain pour le coup d’envoi de huit jours de cinéma coréen au cours desquels nous découvrirons côté à côté un jeune cinéaste à l’honneur, Yoon Sung-Hyun, et le nouveau film d’une figure emblématique du pays, Hong Sang Soo. Si vous ne connaissez du cinéma coréen que les films noirs comme l’encre, préparez-vous à quelques découvertes surprenantes… L’excitation monte déjà !

lundi 19 septembre 2011

Blackthorn, le western ne meurt jamais

Quand Clint Eastwood a réalisé Impitoyable en 1992, se doutait-il que tous les westerns qui suivraient les vingt prochaines années seraient jugés à l’aune de ce que l’on a considéré comme les funérailles d’un genre qui a fait les belles heures du cinéma américain ? Il est dit qu’Eastwood, avec son film hommage au genre, avait définitivement enterré un imaginaire cinématographique qui ne pourrait plus être. S’il est vrai que le genre s’est raréfié sur grand écran, il n’est pourtant jamais vraiment mort, n’en déplaise à ceux qui chaque fois qu’un nouveau western réussi débarque sur grand écran l’admirent comme une aberration, une belle mais unique aberration.

A force de crier à la résurrection du western, il serait pourtant temps d’admettre que le western n’est pas mort. Tout juste n’est-il plus ce grand genre populaire qu’il a été, et est passé du côté du cinéma artisanal. Oui, le western est devenu un travail d’orfèvre. Les belles œuvres du genre sont apparues trop nettement ces dernières années pour que l’on puisse décemment qualifier le genre de zombie, ce défunt recouvrant la vie sans être tout à fait vivant. Open Range, L’assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford, The Proposition, Appaloosa… 2011 nous a même déjà gratifiés d’un remarquable western by ze Frères Coen, True Grit, pendant que Kelly Reichardt défiait cet univers d’hommes pour signer un western atypique, contemplatif et fascinant, La dernière piste.

Non, le western n’est décidément pas mort, et ces jours-ci, c’est Blackthorn de l’espagnol Mateo Gil qui vient nous le confirmer. Un film qui vient reprendre et prolonger le mythe de Butch Cassidy, bandit réputé de l’Ouest Américain du 19ème siècle, connu pour avoir été tué au côté de son complice de toujours Sundance Kid en Bolivie, en exil. L’histoire de Butch Cassidy et de Sundance Kid avait été immortalisée à l’écran il y a quelques décennies par George Roy Hill, un film que j’avais justement revu en copie neuve au cinéma il y a quelques mois. Blackthorn imagine que Butch Cassidy a survécu à la fusillade qui les aurait soi-disant tués, lui et Sundance, et que le hors-la-loi a changé de nom une fois de plus (son vrai nom était Robert Leroy Parker), s’est trouvé une petite ferme dans les montagnes boliviennes, et a vécu ainsi anonymement pendant près de trois décennies jusqu’à ce qu’il se décide à rentrer aux États-Unis. Mais sur le chemin, pas encore sorti de Bolivie, il croise la route d’un ingénieur improvisé bandit (Eduardo Noriega) ayant à ses trousses un grand nombre de gâchettes.

Si Paul Newman a prêté ses traits à Butch Cassidy il y a toutes ces années, Mateo Gil a lui offert le rôle à Sam Shepard. L'acteur américain qui ces dernières années a plus souvent joué les seconds rôles de luxe dans les productions hollywoodiennes se trouve ici au cœur de tous les plans ou presque, son visage buriné, sa barbe épaisse, sa silhouette fatiguée mais toujours charismatique. Son Butch est un homme las mais toujours alerte qui se déplace dans un paysage magnifié par la caméra du réalisateur espagnol.

Le western qui a si longtemps été le genre d’action par excellence trouve dans le cinéma d’aujourd’hui tout son sens dans l’expression de cadres esthétiques, dans la langueur de paysages magnifiés. Blackthorn est un voyage à travers la Bolivie, ses montagnes, ses déserts, ses mines. C’est aussi, surtout, un souffle de mélancolie profonde, la mélancolie d’un monde en mouvement où le temps fait plier le passé sans l’écraser. Les souvenirs s’entrechoquent avec le présent, et Mateo Gil joue avec l’imaginaire de Butch Cassidy, les images et souvenirs implantés par le film de George Roy Hill. Il joue sur la distance avec un Butch jeune et ce vieil homme qui se balade à l’écran. Le western est un genre du passé, comme Butch est un personnage du passé dans sa propre histoire, sa propre vie. C’est un roc, que même son plus vieil ennemi (Stephen Rea, formidable) ne peut qu’admirer, lui aussi gagné par la lassitude.

Entre ces plans cherchant la beauté, cette gueule bourrue et gracile de Shepard, et cette voix entonnant avec simplicité quelques chants traditionnels magnifiés par la voix rocailleuse de l’acteur américain, la balade en Bolivie offerte par Mateo Gil est suspendue, aérienne, loin de toute époque. C’est une virée sans âge, amère, magnifiquement cinématographique.

vendredi 16 septembre 2011

Asghar Farhadi ou le goût du cinéma iranien

Il y a deux ans, presque jour pour jour, sortait dans les salles françaises A propos d’Elly. Il y a deux ans presque jour pour jour, je découvrais le cinéma d’Asghar Farhadi. Un cinéma qui me faisait redécouvrir un cinéma iranien que j’avais quelque peu délaissé depuis un certain nombre d’années. La vérité serait plutôt que jusqu’ici le cinéma iranien avait peiné à me passionner, malgré quelques belles découvertes très ponctuelles. Mais depuis A propos d’Elly, je ne tombe plus par hasard sur le cinéma iranien, je le guette.

A l’aune de l’été, alors que le film déchaînait les passions cinéphiles et se transformait non plus en succès parisien mais en succès populaire, je n’ai pas parlé dans ces pages d’Une Séparation. Ce silence ne signifiait pas un désintérêt pour le nouveau film d’Asghar Farhadi, Ours d’Or à Berlin en début d’année. Moi aussi j’ai été emporté et soufflé par ce récit fort, passionnant et implacable d’un couple en perdition dans le Téhéran de 2010. Moi aussi je me suis trouvé tendu comme devant un thriller à suspense devant cette chronique urbaine et humaine. Disons que le temps m’a manqué au moment où je l’ai vu. Mais personne ne m’a attendu pour les recommandations, et le film file doucement mais sûrement vers le million d’entrées en France. Un million de spectateurs pour un film d’auteur iranien, un succès aussi inattendu que mérité pour un film repoussant la barrière des genres.

Car si Une séparation est en passe de devenir un des plus grands succès du cinéma asiatique en France, et y est déjà le plus grand succès du cinéma iranien, c’est que le style de Farhadi, déjà présent dans ses précédentes œuvres, trouve ici son apogée. Soutenu par un Ours d’Or à Berlin, une critique unanime et un bouche-à-oreille élogieux, le phénomène était lancé. Et incitait les distributeurs à ressortir en salles les deux précédents films du cinéaste iranien, alors que lors de leur première exploitation ils étaient passés plus discrètement. Si je connaissais déjà les qualités d’A propos d’Elly, récit d’une journée entre amis tournant mal lorsqu’une des femmes de la bande disparaît, il me restait à découvrir La Fête du Feu, datant de 2006.

Il m’aura fallu plus d’un mois avant de pouvoir enfin poser mes yeux sur ce qui est le troisième long-métrage de Farhadi (ses deux premiers sont inédits), dans la seule salle de l’Arlequin où je n’étais étrangement jamais allé. Le film rappelle, ou plutôt annonce fortement Une séparation. Une jeune femme qui s’apprête à se marier est engagée pour une journée chez un couple pour faire la femme de ménage. Le film s’étale sur cette seule journée, au cours de laquelle la jeune protagoniste découvre un couple déchiré, une femme ne faisant plus confiance en son époux, un époux agacé du comportement de sa conjointe. Ce sont bien les prémices de ce qui sera Une séparation, cet examen de la vie ordinaire à Téhéran, une observation des rapports humains dans la société iranienne. Ces relations difficiles entre hommes et femmes, au sein du couple comme en dehors, ces traditions enracinées et bataillant avec la société contemporaine.

Farhadi aime à concentrer son attention sur une unité de temps et de lieu, limitant son action au cadre d’une seule journée et tournant autour de deux ou trois décors principaux, pas plus. Il avait déjà dans La Fête du Feu cette capacité virtuose à rendre haletant le quotidien, à peser ses dialogues afin qu’ils servent à la fois à enrichir les personnages et à nourrir l’action. Son choix de limiter son film à une journée et ses personnages à une poignée lui permet d’approfondir en permanence ses héros et les situations dans lesquelles ils s’empêtrent. A travers un petit groupe de personnages, c’est toute la société iranienne qui passe sous son objectif, symbolisée par cette méfiance, ces doutes, ces craintes, et en même temps cette énergie incroyable, cet espoir qui parvient à poindre dans la nuit et le trouble.

Le cinéma d’Asghar Farhadi est un cinéma fiévreux, plaçant en son cœur l’humain, avec ses défauts et ses qualités. L’Iran qu’il nous montre déroute et passionne. C’est un cinéma haletant, un cinéma vivant. J’ai découvert Asghar Farhadi un peu par hasard, un peu par curiosité, un jour d’automne 2009. Deux ans plus tard, je sais que le hasard n’entrera plus jamais en compte lorsque je me trouverai dans une salle programmant un de ses films.

mercredi 14 septembre 2011

Quelques années plus tard, ils sortent enfin...

Le chemin jusqu’à une sortie en salles peut être un véritable marathon labyrinthique pour un long-métrage. Et pas seulement pour les films art et essai sans stars. Lorsque tout va bien, une fois qu’un film est tourné, il sort en salles (ou en DVD) dans l’année qui suit. Si le film a besoin d’effets spéciaux colossaux, cela peut nécessiter une ou deux années supplémentaires, comme Avatar, mais ce ne sont en général que des blockbusters énormes. Il y a aussi, bien sûr, les cinéastes comme Terrence Malick ou Wong Kar Wai qui ont du mal à quitter la table de montage et ont le chic pour faire longuement patienter leurs fans, comme Malick l’a fait avec The Tree of Life, mais il s’agit là de l’énergie du détail de cinéastes extraordinaires.

Et puis il y a d’autres films. Des films malades, des films malaimés, des films conflictuels, embourbés dans des litiges artistiques ou financiers les condamnant à rester coincés sur une étagère en attendant que la tempête passe. Des films pourtant réalisés par des cinéastes confirmés, ou avec des stars internationales. Mais des films qui ne sortent pas.

L’un des exemples les plus fameux de la décennie écoulée vient enfin de sortir en France… en DVD. Le film est quasi un cas d’école. Il s’agit de la seule réalisation à ce jour de l’acteur Alec Baldwin, qui l’a tourné dans une période de creux de sa carrière de comédien, en 2001, bien après sa période A-list, et avant son retour en grâce via une facette comique trop peu exploitée auparavant - en dehors du Saturday Night Live. A l’époque, le film devait s’appeler The Devil and Daniel Webster. Au casting, une belle brochette entourant un Baldwin s’étant réservé le rôle central d’un écrivain vendant son âme au Diable en échange du succès : Anthony Hopkins, Dan Aykroyd, Jason Patric, Kim Cattrall, John Savage… et en Diable sexy, Jennifer Love Hewitt, qui si elle n’était déjà pas une grande actrice, n’était pas encore ring’ et cantonnée aux téléfilms d’après-midi sur M6.

Mais après le tournage, des soucis financiers ont empêché Baldwin de finir la postproduction. Ne trouvant pas les fonds nécessaires, le film est resté dans un tiroir pendant quelques années, jusqu’à ce qu’une compagnie en fasse l’acquisition, injectant de l’argent et finissant le boulot. Le problème, c’est que Baldwin n’a pas supervisé cette nouvelle postproduction, forçant le réalisateur a retiré son nom du générique. Au lieu d’Alan Smithee, nom de code trop connu, c’est le pseudo fantôme Harry Kirkpatrick qui signe le film. Aux États-Unis, le film est du même coup rebaptisé Shortcut to Happiness pour sa discrète sortie en salles en 2007, six ans après la fin du tournage. En France, le film sort ces jours-ci en DVD sous le titre Sexy Devil, renvoyant immanquablement à Jennifer Love Hewitt, dix ans après qu’elle ait prêté sa silhouette au Diable.

Aux États-Unis, à la fin du mois, c’est un autre film tourné de longue date qui s’apprête à enfin investir les salles obscures. Le second film de Kenneth Lonergan, découvert il y a une dizaine d’années avec Tu peux compter sur moi, le long-métrage qui avait révélé Mark Ruffalo. C’est en 2005 que le cinéaste américain s’est attelé à la réalisation de son second film, Margaret, avec un casting impeccable lui promettant de ne pas passer inaperçu : Anna Paquin, Matt Damon, Mark Ruffalo, Matthew Broderick, Jean Reno, et quelques autres. Pourtant, comme Alec Baldwin avant lui, Lonergan est vite pris dans un imbroglio juridique et financier qui retarde le montage. Bientôt, l’argent n’est plus là, et le film reste en rade.

Margaret devient une véritable Arlésienne, d’autant que le scénario jouit d’une réputation flatteuse. Des rumeurs annoncent régulièrement sa sortie depuis quelques années, toujours en vain. Jusqu’à cette année, et la sortie officialisée et calée à la fin du mois. Il se dit que c’est Matthew Broderick qui a prêté à Lonergan l’argent nécessaire à la complétion du long-métrage (la version sortant en salles, bien qu'affichant 2h30 au compteur, n'est pas la director's cut, qui sera réservée à la sortie en DVD...). Affiche et bande-annonce circulent enfin sur Internet, une bande-annonce trahissant au premier coup d’œil que le film a été tourné il y a bien longtemps : Matt Damon y a l’air si jeune (non, encore plus que d’habitude, période Les Infiltrés qu’il venait de tourner !). D’ici à ce que le film arrive en France, quelques années s’écouleront peut-être encore ? Espérons que non, si la sortie américaine confirme toutes les bonnes choses qui se disent sur le scénario, supposément un grand script sur le New York post-11 septembre.

Et combien d’années faudra-t-il encore attendre Nailed, que David O. Russell a tourné avant Fighter, mais qui reste embourbé dans des litiges comme Margaret et Sexy Devil l’ont été ? Non en fait, les problèmes de Nailed sont encore plus grands, car le tournage du film n’a jamais été terminé, l’équipe ayant arrêté de travailler quand elle s’est rendue compte qu’elle n’était plus payée. Comme Baldwin, Russell semble s’être désengagé de son film, qui aurait pu être une comédie politique et qui si elle sort un jour n’aura à priori pas le nom du cinéaste à son générique. Difficile de savoir s’il y a assez de métrage pour faire de Nailed un film un jour. Ca ne fait jamais que trois ans que le tournage s’est interrompu, on risque donc d’attendre un petit moment avant d’avoir des nouvelles du film. Malgré la distribution comprenant Jake Gyllenhaal, Jessica Biel, James Marsden, Catherine Keener et Tracy Morgan.

Pendant qu’aux États-Unis, certains films trainent sur des étagères, en France, on se fait la guerre pour sortir son film le plus vite possible. Les producteurs sont tellement pressés d’être les premiers à sortir leur Guerre des boutons que des films dont les tournages se sont achevés en juillet pour l’un, en août (!!!) pour l’autre, sortent en salles dans la précipitation la plus totale en septembre. Et franchement, l’envie de les voir n’y est pas.
Dites, messieurs les distributeurs français, ça ne serait pas possible de remplacer une des Guerre des Boutons par Margaret ? Siouplait !

mardi 13 septembre 2011

L’Étrange Festival 2011 : Sono Sion, Xavier Gens, et on remballe !

Dimanche soir, la 17ème édition de L’Étrange Festival a plié boutique. La manifestation tant appréciée des amateurs de cinéma de genre s’est conclue par la consécration du film belge Bullhead, chaudement recommandé pendant la manifestation mais que je n’ai pu voir. J’ai vu mon lot de films décevants au cours de ces dix jours au Forum des images, suffisamment pour regretter de ne pas m’être arrangé pour aller voir le film récompensé plutôt que The Unjust ou Stake Land, mais il est trop tard pour regretter, et inutile de se mentir, je n’aurais raté le film coréen pour rien au monde.

Cet Étrange Festival cru 2011 aura tout de même apporté son lot de films enthousiasmants (Super, Revenge : a love story), forts (Kill List, Redline) et intrigants (Confessions), assez pour estimer qu’une fois de plus, le rendez-vous parisien de la rentrée s’est montré indispensable. Et ce même si les deux derniers films que j’aurai vu dans la grande salle 500 du Forum auront été loin de m’électriser.

J’attendais le premier de pied ferme, Cold Fish, car les films de son réalisateur Sono Sion ont une fâcheuse tendance à ne jamais sortir en salles en France. Et voici que L’Étrange Festival avait l’audace de passer deux films de Sono Sion, celui-ci et Guilty of Romance, sélectionné à la Quinzaine des Réalisateurs cannoise en mai dernier. Mon emploi du temps m’a poussé vers Cold Fish quand j’aurais aimé poser mes yeux sur les deux… du moins avant de voir le film. Après coup, j’ai franchement regretté d’avoir vu celui-ci plutôt que l’autre, mais encore une fois, les regrets de ce type sont futiles.

Alors non, Cold Fish ne m’a pas séduit. Du tout. Pourtant j’ai longtemps cru que j'appréciais le long-métrage alors qu’il se déroulait sous mes yeux, 2h25 durant. Parce que le film est fort, certainement. Parce qu’il ne s’embarrasse pas de détails pour nous sauter au visage et que cette agressivité, un mélange de danger sourd, de violence réelle et d’érotisme atténué, a des atours séduisants. Il y a dans le cocktail sexe, sang et folie quelque chose de toujours fascinant dans le cinéma de genre. Pourtant dans le cas de Cold Fish, le moment arrive où ce cocktail ne prend plus. Dans sa folie, Sono Sion manque justement de folie.

Il y a quelque chose de trop prévisible dans ce portrait d’un japonais moyen, père de famille effacé qui se laisse constamment marcher sur les pieds sans réagir. Il est trop facile de reconnaître en lui une bombe à retardement qui va accumuler les coups au long du film pour mieux exploser dans un bain de sang. Cela se produit comme imaginé. Heureusement, le ton confère à la comédie, à raison, parodiant les relations humaines dans la société japonaise, où le respect de façade cache l’arrivisme ou le mal être. Sans ce caractère grotesque assumé, le film serait bien trop facile, ou plutôt encore plus facile et risquerait le ridicule comme il s’y perd dans cette séquence finale entre sang et morts qui est un joli n’importe quoi scénaristique, et pousse l’hystérie générale jusqu’à son paroxysme.

Dans The Divide, il n’y aura pas eu les belles plastiques de Megumi Kagurazaka et Asuka Kurosawa, allègrement filmées par Sono Sion, pour distraire d’un sentiment mitigé. Le film de Xavier Gens avait fait l’ouverture, dix jours plus tôt, et le réalisateur français était là dimanche, en ce dernier jour de festival, pour nous présenter le film. Et en guise d’introduction, il nous raconta une anecdote des plus jubilatoires à propos de la production du film.

Gens nous raconta qu’à quelques jours de commencer le tournage de The Divide à Winnipeg, en plein cœur du Canada, les assurances se sont retirées, craignant que ce tournage promettant d’être dur et intense ne tourne mal. Tout à coup, le film se retrouvait sans argent, et sans espoir d’en obtenir en l’absence d’assurances. Lorsqu’il l’annonça à l’équipe, le stagiaire régie - dont la fonction sur le plateau se résumait à faire le café, aller chercher les pizzas et autres tâches quasi ménagères - manifesta sa déception au réalisateur français : « Oh non, vous pouvez pas me faire ça, c’est mon stage d’études, faut absolument qu’on le fasse ce film !!! ». A quoi Gens ne pouvait lui répondre que la triste vérité : « Désolé mais les assurances se sont retirées, on n’a plus d’argent, on va détruire les décors qu’on a construit, c’est foutu ». C’est alors que le p’tit stagiaire régie sauva le film en proposant au cinéaste : « T’as qu’à appeler mes parents, ils pourront peut-être t’aider ». Les parents du stagiaire régie firent un chèque de 2,5 millions de dollars à la production et permirent à The Divide d’être tourné.

L’anecdote est savoureuse à entendre, certainement plus que le film ne l’est à être regardé. Il ne s’agit pas là d’un mauvais film, seulement d’un film passant derrière d’autres, plus illustres, plus ambitieux, plus réussis, sur des prémices similaires. Dans The Divide, New York est prise sous les feux de bombes (sûrement nucléaires) instaurant la panique dès les premières secondes du film. Les habitants d’un immeuble se réfugient dans le sous-sol où vit leur gardien. Tapis sous terre en attendant d’éventuels secours, les relations au sein du groupe, une dizaine de personnes, va peu à peu se détériorer à mesure qu’il devient clair que ce qui viendra de dehors ne sera probablement pas leur salut.

The Divide apparaît donc vite comme une variation autour d’un thème déjà abordé dans The Mist de Frank Darabont, ou comment, lorsqu’un groupe d’hommes et de femmes se réfugient dans un lieu clos pour échapper à un danger, la situation dégénère et le danger se fait finalement plus pressant à l’intérieur que dans l’inconnu de l’extérieur. La folie s’y développe plus vite qu’on ne le pense. C’est une bonne idée de départ, et Xavier Gens en tire un film correct, tendu, en décor unique. Mais les petits défauts parsèment le film avec trop d’évidence pour que l’on que l’on soit scotchés.

Les personnages étant trop chichement écrits – la plupart avec un passé vierge à notre connaissance et un caractère assez caricatural, The Divide échoue à nous faire ressentir la moindre empathie à leur égard. Le cadre de cette situation quasi apocalyptique est lui trop succinctement posé et entretenu pour offrir une dimension politique ou sociale qui aurait été la bienvenue, d’autant que le caractère totalement flou de la situation rend le film plus frustrant que de raison. Nous ne saurons rien ou presque de ce qui s’est passé, de ce qui se passe, ou de ce qui se passera à l’extérieur de ce sous-sol en forme de refuge désespéré. Ce qui aurait été une qualité si Gens s’était astreint à de petites touches pour donner plus de détails à son cadre scénaristique, plutôt que ce quasi néant.

On trouve tout de même un personnage plus réussi que les autres, celui campé par l’acteur de Heroes Milo Ventimiglia, le seul montrant une réelle transformation au fil des épreuves traversées, le seul évoluant sous la pression de la situation, quand les autres restent uniformes tout le long du récit. Je quitte le Forum des images et l’Étrange Festival sur cette note tiède, avec quelques plus chauds souvenirs heureusement. Et en sachant que je serai de toute façon fidèle au rendez-vous en 2012.

dimanche 11 septembre 2011

L'Etrange Festival : vampires américains et tueur hongkongais

Jeudi 8 septembre, cinquième jour à explorer les couloirs du Forum des images et à chercher la place idéale dans la grande salle 500 pour les films de L’Étrange Festival. Après avoir un temps hésité à aller voir un Bollywood semblant bien délirant intitulé Endhiran, mon choix s’est finalement porté sur un film de vampires américain pour débuter. Stake Land nous est annoncé comme une version vampirisée de La Route de John Hillcoat. Une idée intrigante et prometteuse.

Il s’agit de l’odyssée, à travers des États-Unis ravagés, d’un chasseur se faisant appelé Mister et d’un jeune garçon qu’il a sauvé de ces monstres ayant fait leur apparition partout dans le monde. Le duo progresse sur les routes en direction d’un éventuel Eden annoncé au nord, vers le Canada, un lieu froid où ces vampires (qui ne ressemblent pas tant à des suceurs de sang qu’à un croisement avec des zombies) seraient absents. Mister et Martin, le jeune garçon, s’apprivoisent en silence dans ce décor post-apocalyptique sur les routes duquel ils se feront des compagnons de route à l’espérance de vie limitée.

La comparaison avec La Route, le film ou le merveilleux bouquin de Cormac McCarthy, est effectivement incontournable, malheureusement bien vite aux dépens du film de Jim Mickle, trop familier pour apparaître comme autre chose qu’une (toute) petite série B sympatoche, peuplé d’acteurs manquant de charisme et de personnages franchement fades. La plus grande surprise tient vraisemblablement dans l’irruption à l’écran de Kelly McGillis en bonne sœur, loin, très loin du sex-symbol qu’elle a été dans les années 80 (même en plissant fortement les yeux, rien ne rappelle l’instructrice de Top Gun). Au-delà de cette invitée « de luxe », Stake Land se traîne bien trop en longueur (il semble durer au moins deux heures, ce qui est loin d’être le cas) et offre un dénouement, non pas ridicule mais insatisfaisant et un brin maladroit.

Le film a tout de même pour lui de bien se tenir visuellement malgré le petit budget, et est surtout bercé d’une voix off joliment utilisée, ce qui est suffisamment rare pour être souligné. Ce film si mineur aura au moins eu le mérite de m’assoiffer d’un cinéma plus audacieux, ce qu’il m’a été donné de voir quelques heures plus tard ce même jour avec Revenge : a love story du chinois Wong Ching Po.

Comme Super la veille, Revenge : a love story n’était programmé qu’une fois au cours du festival. Je n’aurais pas été surpris d’être assis dans une salle bondée pour l’occasion, mais si l’homme aux sacs plastiques était lui bien présent au rendez-vous (il l’était déjà la veille pour Super et plus tôt pour Stake Land…), tout le monde ne s’était pas donné le mot pour venir voir ce polar made in HK. Tant pis pour eux, ils ont raté l’un des tous meilleurs films du festival (affirmation bien sûr exagérée puisque je suis loin d’avoir tout vu). Est-ce là une surprise, pas totalement puisque le long-métrage est produit par Josie Ho et Conroy Chan, à qui l’on devait déjà l’excellent Dream Home, découvert l’an passé à L’Étrange Festival 2010.

En guise d’ouverture, on apprenait qu’aucune actrice chinoise n’avait voulu se glisser dans la peau du personnage principal féminin, une jeune femme simple d’esprit victime d’un viol trop graphique à l’écran pour que les comédiennes de l’Empire du Milieu ou de Hong Kong veuillent s’y frotter. C’est donc à une actrice japonaise de cinéma porno, Sora Aoi, que le réalisateur Wong Ching Po a confié le rôle. L’anecdote justifie probablement l’interdiction aux moins de 16 ans, les femmes enceintes éventrées de leurs bébés que l’on voit au début du film en étant certainement une raison supplémentaire.

Mais l’important n’est pas dans la nationalité de l’actrice ou dans le sang versé au début du film. L’important, c’est que Revenge : a love story démonte la narration attendue du polar. Il commence comme un thriller avec des flics courant après un tueur sadique tuant des femmes d’inspecteurs enceintes de la manière décrite plus haut. En ce premier acte, on croit que les héros du film seront ces flics pourchassant ce tueur en série particulièrement froid et sanguinaire. C’est alors que le scénario opère un virage à 180°.

En remontant les pendules du temps, il offre le négatif de cette histoire, faisant de celui qui sera tueur en série le protagoniste du récit. Les rapports s’inversent, notre vision des personnages et des enjeux sont altérés, le thriller sanguinolent se transforme en une exploration de la vengeance. En brouillant les pistes narratives, le réalisateur nous montre que la notion manichéenne dépend du point de vue que l’on adopte. Son regard sur la vengeance dans la société devient un regard sur l’art narratif, une exploration de la manipulation que peut représenter une histoire racontée. Le réalisateur s’écarte du thriller violent pour offrir un film à plusieurs niveaux de lecture. Mais si l’on peut s’amuser de cette parabole cinématographique, c’est le polar pur qui marque, mécanique implacable qui se déroule sous nos yeux. Le tueur devient jeune homme fébrile, les flics héroïques deviennent répugnants, et la vengeance se met en marche.

Le film porte un titre qui peut sembler générique, « Vengeance, une histoire d’amour », il correspond pourtant parfaitement au film, dans lequel un grain de sable peut devenir une montagne. Le dénouement déroute quelque peu, entre une séquence très maladroite, manquant de faire tressaillir ce film impressionnant, et une autre assez ambigüe rappelant l’interrogation flottant sur le dernier plan de The Murderer. Mais derrière la maladresse, la conclusion morale se fait jour… La vengeance appelle toujours une autre vengeance.

vendredi 9 septembre 2011

De "Super" à "Captain America", la journée des super-héros

Le planning de l’Étrange Festival est parfois étonnant. Passée la constatation amère que les films des nuits spéciales n’étaient pas repris en programmations individuelles au cours des jours suivants (sûrement pour s’assurer de faire le plein ?), il a fallu accepter que certains des autres films n’avaient eux aussi droit qu’à une seule projection durant le festival… et malheureusement des films particulièrement attendus pour certains. Ce serait le cas le lendemain pour Revenge : a love story, dont je parlerai dans mon prochain billet, mais ce fut surtout le cas mercredi de Super, un des films américains à la réputation la plus béton de l’année.

J’en connais qui ont dû renoncer à venir le voir dans la grande salle du Forum des images cette semaine, à contre cœur, car le choix du festival de ne le passer qu’une fois, un jour de semaine, à 16h30, les empêchait la mort dans l’âme de venir se régaler du film de James Gunn. Ils le regrettent d’autant plus que Super ne sortira vraisemblablement pas en salles en France, promis qu’il est à une sortie en DVD. Et ils le regrettent ENCORE plus depuis cette fameuse unique séance qui confirme que oui, Super est bien une petite bombe du cinéma indépendant américain.

Rainn Wilson, bien connu des amateurs de la version américaine de la série The Office, y incarne Frank, un type banal qui fait la cuisine dans un diner et est marié à une ex-junkie/alcoolique (qui a les jolis traits de Liv Tyler, quand même). Mais lorsqu’un caïd au nom diaboliquement français (Jacques) lui pique sa dulcinée, Frank devient triste… et se fout en rogne. Inspiré par un super-héros de sitcom évangéliste, il décide de se fabriquer un costume et d’aller affronter le crime dans la rue, armé de sa bonne volonté… et d’une clé anglaise. Avec en ligne de mire finale, Jacques le voleur de femme…

Bien sûr, on ne peut s’empêcher de penser à Kick-Ass, avec ce combattant du crime amateur se prenant pour un super-héros, d’autant que comme dans le film de Matthew Vaughn, la violence est présente à l’écran, même si essentiellement dans le dernier acte. Certains avaient reproché à Kick Ass un certain ton réac’, dans le fait de voir cette gamine tuant à tout va aussi facilement et naturellement que si elle jouait à la marelle. Mais le film restait fun et coloré, quand on se surprend à trouver un ton moins grand public dans Super. Le film est étonnamment triste, sombre et désenchanté. James Gunn, dont on a pu se régaler déjà par le passé de son Horribilis, porte un regard sur l’Amérique des marginaux et des loosers qui surprend. Le héros est, du point de vue de la société, un looser, et le reste tout du long.

A travers ce super héros ordinaire qui se laisse guider par des voix et des hallucinations, Super se pose également en discours sur la religion, et la place envahissante qu’elle prend aux États-Unis. Et lorsque Frank pète les plombs et prend les armes, James Gunn s’attaque à l’action personnelle en opposition à la justice, à ce rapport qu’entretiennent ses concitoyens avec la violence et la peine de mort. Le dernier acte surprend, par sa noirceur, sa soudaineté, et la violence qui en découle. Gunn édulcore les images avec un ton BD, mais le choc reste et fait glisser le film dans une mélancolie certaine. Qui l’eut cru d’un film avec un tel pitch ?

Pour autant on rit également devant Super, et pas qu’un peu. Derrière cette amertume et cette violence, l’humour est presque de tous les plans, grâce à un Rainn Wilson parfait en Crimson Bolt, alias L’Eclair Cramoisi en français, grâce à Ellen Page, joliment espiègle et charmeuse en Boltie, alias Cramoisette, et surtout grâce à un ton parodique constant qui fait naviguer le film avec aisance dans le second degré. Super ? Super !

Hasard de mon agenda, j’ai enchaîné quelques heures plus tard avec un vrai film de super-héros, hors du cadre de l’Étrange Festival. Les lunettes 3D collées sur le nez (j’ai attendu des semaines dans l’espoir de le voir sans la 3D, en vain), je suis allé découvrir Captain America – First Avenger de Joe Johnston. Le contraste de ton et de moyens était bien sûr saisissant avec Super, mais malgré les deux univers différents, les films ne sont pas antinomiques, et en fin de compte, malgré l’éternelle 3D dispensable, Captain America pourrait bien être un de mes films Marvel préférés. La faute (mais ce n’est est pas une) à une mythologie bien traitée et amenée, à une direction artistique remarquable dans ces décors de Seconde Guerre mondiale, et à un regard sur l’image véhiculée par les Etats-Unis, son rapport à la guerre, qui en font un spectacle qui ne se contente pas d’être joyeusement ludique, mais également historiquement ancré, avec panache. Lorsque Captain America, pas encore héroïque, vadrouille à travers le pays pour faire le clown et financer la guerre, on pense même à Mémoires de nos pères, le beau film de Clint Eastwood.

On mord également à l’hameçon avec plaisir grâce à une distribution impeccable, d’un Chris Evans souvent palot qui incarne Steve Rogers à merveille à un Stanley Tucci trop peu présent en mentor scientifique. Quant à Hayley Atwell, elle est peut-être le love interest le mieux écrit, et sans l’ombre d’un doute le plus agréable à regarder, de l’histoire des films de super héros. Certes le dernier acte s’affadit un peu, ne se montrant pas à la hauteur du reste du film, mais il y a suffisamment de qualités dans ce Captain America pour enthousiasmer les amateurs de cinéma hollywoodien offrant aventure et pouvoirs extraordinaires. Le contraire de Green Lantern en somme…
Les super héros, vrais ou faux, étaient à l’honneur aujourd’hui, et ils me l’ont joliment rendu.

mardi 6 septembre 2011

Journée de la déception à l'Etrange Festival entre Corée et Colombie

J’ai espéré mieux de ce premier dimanche de l’Étrange Festival. Le rendez-vous du bizarre avait suffisamment bien commencé entre vendredi et samedi pour que les deux films qui étaient à mon programme en ce troisième jour me laissent supposer que j’étais parti pour un doublé trippant. Et ils le laissaient d’autant plus penser que pour me mettre en bouche, j’avais commencé la journée en allant voir Cadavres à la pelle, le retour derrière la caméra de John Landis après plus d’une décennie d’absence, et que comme le laissait craindre le bouche-à-oreille, il n’y avait pas grand-chose à tirer de la comédie anglo-saxonne du réalisateur des Blues Brothers. Même l’homme aux rires étranges qui peut souvent rire pour un rien, et avec une emphase dont il a le secret, n’a pas décroché une seule exclamation dans cette salle de l’Orient-Express que nous nous partagions… ça en dit long.

J’attendais plus de ce doublé coréano-colombien à L’Étrange Festival. Le premier, The Unjust, était une projection courue en ce début de soirée. A quoi reconnaît-on une projection courue un dimanche soir à Paris ? A son public bien sûr, et lorsque celui-ci compte dans ses rangs Chronos Man et Plastic Man themselves, c’est que le monde des cinéphiles est à l’écoute. L’homme au chronomètre et l’homme aux sacs plastiques, le premier sur le même rang que moi, le second à son habituel premier rang sur la droite, c’est un peu la gageure que la programmation est réussie, comme disait ce programmateur new-yorkais dans le docu sur les cinémaniaques passés sur Arte il y a quelques années.

Qu’en ont-ils pensé, ces deux-là, de The Unjust ? Je n’ai même pas vraiment eu le temps de prendre le pouls des opinions à la sortie (comme si c’était une habitude, alors que j’ai plutôt tendance à préférer me recroqueviller en sortant d’un film…), mais la mienne a rapidement été limpide. Le nouveau film de Ryu Seung-Wan n’est pas à la hauteur de l’attente qu’il a suscitée. Je me souviens que l’an passé, le film sortait dans les salles coréennes alors même que le cinéaste coréen donnait une masterclass à l’Action Christine dans le cadre du Festival Franco-Coréen du Film et qu’à l’époque, j’aurais payé cher pour voir The Unjust, juste après m’être régalé de Crying Fist et Crazy Lee.

En naviguant dans les arcanes du système judiciaire coréen, Ryu Seung-Wan perd de sa grinta. Il ne s’agit pas ici d’un cas de médiocrité, mais plutôt d’un gâchis de beau potentiel. Un flic pris au cœur d’une enquête interne pour une affaire de corruption délicate se voit assigné le dossier chaud du moment : une série de meurtres visant des écolières de Seoul. Le suspect numéro un a été abattu par la police, au grand dam de ses chefs, qui ont besoin d’un coupable pour satisfaire l’opinion publique. Il va donc devoir livrer un nouveau suspect à un procureur lui-même pas franchement réglo.

Le problème de The Unjust ne tient pas dans son sujet. Ryu Seung Wan montre de l’ambition, il s’attèle à des enjeux nobles et explosifs : pointer du doigt la corruption qui sévit dans l’administration coréenne, dans sa police et son système judiciaire. Mais à vouloir dénoncer à tout prix, il semble que le réalisateur ait oublié au passage de faire coexister son discours avec son intrigue. Certes The Unjust est un film corrosif sur les luttes de pouvoir, mais pendant 1h40, le film échoue à nous happer, engluer dans un trop plein de personnages et d’intrigues sonnant creux, malgré les dialogues à foison. Dans tous les sens, on court, on crie, on menace, mais si le film parvient à égratigner la société coréenne gangrénée par la corruption, quel apport cinématographique ?

Où est le suspense, où est la hargne, où est le pouls du film ? Il n’y en a pas. Le film est une solide coquille de dénonciation, mais vide d’intuition cinématographique, vide de cette fièvre qui fait les films policiers qui comptent. Les personnages, hormis peut-être celui du procureur exalté mais bien ripoux, sont fades. L’enquête, ou plutôt les enquêtes, se suivent sans être haletantes, sans nous surprendre, sans nous passionner. C’est ainsi durant 1h40, et pourtant le film dure deux heures. Car contre toute attente, le film finit par prendre vie, à vingt minutes à peine de son dénouement, lors d’une séquence située à la morgue. Le bras droit jusqu’ici presque invisible du flic anti-héros fadasse a cette réplique pour son collègue / patron / ami, au dessus d’un cadavre : « J’espère au moins qu’on est du bon côté, qu’on est les gentils », à quoi l’autre lui répond « Ce qui compte c’est qu’on le pense ». Tout à coup, les personnages parlent enfin par eux-mêmes, prennent vie, donnent un aperçu de leur âme. Tout à coup, ils deviennent de vrais personnages de cinéma et non plus simplement des héros de papier ressemblant plus à des pantins.

Jusqu’à cet instant précis, Ryoo Seung Wan semblait avoir oublié qu’il ne suffit pas de dénoncer quand on s’attaque à un tel genre, mais qu’il est nécessaire de tisser des personnages auxquels on s’attache, que ce soit pour les aimer ou les détester peu importe, mais qu’ils incarnent une certaine humanité et ne se contentent pas d’être des instruments scénaristiques. Il lui aura fallu 1h40 avant d’en arriver là. C’est trop tard, bien sûr, et l’on ne peut que se dire que The Unjust avait finalement un réel potentiel jamais vraiment exploité.

Après cet épisode coréen malheureusement vain, le second film du jour se devait de dépoter un minimum pour secouer la baraque, d’autant plus qu’il passait à 22h ce dimanche soir, une heure où les curieux se font moins nombreux et moins éveillés. Mais non moins attentifs à la qualité proposée par Salue le Diable de ma part (Saluda al Diablo de mi parte), thriller colombien lançant un guérillero repenti sur les traces de ses anciens compagnons pour les éliminer un à un, répondant ainsi à un chantage promettant la mort pour sa fille si ce repenti, Angel, ne fait pas ce que l’on veut de lui. Il a donc 72 heures pour mener à bien sa série de meurtres.

Après l’errance brouillonne et décevante de The Unjust, un film d’action droit, carré, direct et clair a certainement fait du bien à mes neurones lassés. Pourtant difficile de dire que je suis sorti heureux, ou même satisfait du long-métrage de Juan Felipe Orozco. Certes le film est pêchu et claquant, certes Edgard Ramirez est de ces acteurs qui sont bons quoi qu’ils fassent, certes le film est nerveux et rapide. Mais à part cela ? Le sujet est fort, avec en filigrane une problématique sur l’amnistie des gangs de la jungle, la réinsertion des repentis et les traces laissées dans toutes les strates de la société par cette criminalité massive. Mais tout ceci est tout de même plus effleuré qu’aborder de front, et l’essentiel du film est dévolue à action, entre Angel et sa mission, son tortionnaire qui a été dans le rôle inverse, et ce flic jouant un double jeu avec sa moustache digne du Burt Reynolds de la grande époque.

Mais cette action n’emballe pas. Elle est un divertissement correct de soirée mais, peut-être est-ce par manque de moyen ou par manque d’ambition, elle peine à se montrer mémorable. Il manque de substance pour étoffer l’action et les personnages, un peu caricaturaux. Avec un tel titre, une telle provenance, un tel acteur, je m’attendais à une tempête, mais je n’ai vu en Salue le Diable de ma part qu’une brise agréable.

C’était la journée du « tous pourris » à l’Étrange Festival, qu’ils soient coréens ou colombiens. Tous les personnages avaient au moins une part d’ombre, si ce n’est plus. Mais ça n’a pas suffit à trouver le beau dans le noir.

lundi 5 septembre 2011

L'Etrange Festival 2011 : animation japonaise et tueurs à l'anglaise

Le Japon est presque le pays à l’honneur de l’Étrange Festival. Entre la Nuit Sushi Typhoon, deux films de Sono Sion et quelques petites bizarreries supplémentaires, la nation de Takeshi Kitano est l’une des mieux représentées au Forum des Images ces jours-ci. Après la projection au calme de Confessions (déjà japonais), le second jour de festival offrait toute l’effervescence que le week-end peut apporter. Ca y est c’est certain, on se sent pleinement dans l’Étrange Festival, qui attire une communauté de passionnés qui se connaît bien.

Alors dans la salle de Redline, le film d’animation japonaise de la sélection, on se fait signe, on se sert la paluche, on discute avec le mec assis derrière soi… On reconnaît des têtes régulièrement aperçues à la Cinémathèque, et dans d’autres festivals parisiens. On se sent entre amis à l’Étrange. Tant et si bien que le présentateur du jour nous encourage à vibrer au rythme de Redline, à applaudir et à s’extasier ouvertement devant le spectacle… Il ne faut pas attendre cela de moi, qui en dehors des rires aime peu les démonstrations de vie devant un film… mais finalement, les autres spectateurs non plus n’auront pas abuser du démonstratif.

Le cinéaste Takeshi Koike, dont c’est là le premier long, nous propulse dans un univers futuriste où l’attraction numéro un est une course automobile appelée Redline. De toutes les planètes de la galaxie, les meilleurs pilotes s’affrontent pour décrocher leur ticket dans cette course qui revient tous les cinq ans. Cette année, elle se disputera sur Roboworld, planète sur laquelle le président refuse catégoriquement que cette course endiablée ait lieu. Les concurrents devront non seulement s’affronter les uns les autres – et tous les coups sont permis – mais ils devront également échapper aux autorités de Roboworld.

Production Madhouse, compagnie à laquelle on doit notamment les films de Mamoru Hosoda, Redline est une épuisante épopée automobile et spatiale. Non pas épuisante par lassitude, mais épuisante par l’énergie déployée, un bolide lancé à 300 km/h dans nos yeux, coupant les jambes comme si l’on avait couru au côté des antihéros du film. Imaginez un croisement animé entre Speed Racer des frères Wachowski (Koike a d’ailleurs réalisé un des segments d’Animatrix) et la séquence de pod racing de Star Wars Episode I, La Menace Fantôme. Des engins propulsés à pleine allure, des couleurs virevoltantes, pour une aventure qui use notre propre énergie. Avec en bonus, la voix de Tadanobu Asano. Pas du grand cinéma d’animation, mais du nerveux qui fait plaisir aux yeux.

Après m’être ressourcé, je suis retourné dans l’antre de l’Étrange à 22h pour le film que j’attendais peut-être le plus du festival, Kill List. Un film dont je n’avais pourtant pas entendu parler il y a encore un mois. C’est lors de mon voyage en Irlande que j’ai découvert l’existence de ce film et qu’il s’est immédiatement planté parmi mes plus attendus du moment, tant les critiques lues ici et là en zigzag y allaient dans l’éloge. Lire ces avis en zigzag m’a permis de ne pas trop en savoir, et lorsqu’en rentrant à Paris et en découvrant la sélection de L’Étrange Festival 2011, j’y ai vu le titre du film de Ben Wheatley, mon sang n’a fait qu’un tour et le film s’est immédiatement inscrit à mon agenda.

Je n’en savais que ce que je voulais bien en savoir, le pitch de base. Un tueur à gages n’ayant pas bossé depuis des mois se laisse entraîner dans une nouvelle mission par son partenaire de toujours. C’est tout ce que j’en savais. Je ne m’attendais donc pas du tout au film que j’ai vu. Après tout, le pitch pourrait être celui de n’importe quel thriller tout public alors qu’à l’évidence, Kill List n’est pas un thriller tout public, et sa présence à L’Étrange Festival le laissait tout de même largement deviner.

Contre toute attente, le film commence comme un drame conjugal. Dans un petit patelin anglais, un couple se dispute. Un couple tout ce qu’il y a de plus banal à vue d’œil, avec une maison, un garçon de sept ans, une soirée avec des amis à préparer. Des dettes, un compte en banque vide ou presque. Lui semble au chômage, au grand désespoir de madame, qui lui reproche incessamment ce fait. En voyant cet époux qui semble un peu à côté de la plaque, difficile de l’imaginer en tueur à gages. C’est pourtant bien lui qui se laissera persuader, acculé, de ressortir son arme du garage et d’aller rencontrer un client avec son partenaire de toujours pour récupérer une nouvelle « kill list ». Trois noms. Trois personnes à tuer - dans le pays en plus, alors que leur dernière mission huit mois plus tôt en Ukraine s’était mal passée. Un job facile, en fin de compte. Pourtant, un job qui sera le début d’une descente aux enfers.

Difficile, en regardant le premier acte de Kill List, de deviner qu’il nous entraînera là où il nous entraîne finalement. Ce film qui commence dans le drame social et maritale, bifurque vers le thriller et se poursuit dans… l’énigmatique. C’est un film sec, très sec. Un film gris, qui se pose dans une atmosphère poisseuse et instaure rapidement un étrange climat entre malaise et fascination. Le cadre de cette Angleterre frappée par la crise désarçonne, par son réalisme voulu alors même que le film glisse peu à peu dans un univers sombre à la limite du fantastique. A mesure que le film avance, les doutes s’accumulent, et l’on avance avec hésitation et lenteur vers le terrible. Le drame conjugal, étrangement, ne s’éloigne pourtant jamais vraiment, le cadre social demeure, et une inéluctabilité semble se mettre en place.

Kill List est également un film opaque qui distille plus d’interrogations que de mesure, une force ou une faiblesse selon le point de vue. Mais dans ce désir de ne fournir aux spectateurs que les éléments nécessaires à laisser le mystère se faire et le malaise se développer, Ben Wheatley nous met à l’épreuve, il nous lance un défi et joue avec nous. L’intrigue nous est livrée voilée, les tenants et aboutissants restent dans une zone d’ombre, à prendre ou à laisser. Contre toute attente, on retrouve un peu de A Serbian Film, le film choc et glauque (certains diraient vomitif) de l’an passé. Pas dans le glauque, ni le sujet, mais dans une certaine conception de la descente aux enfers. Kill List sort ces jours-ci outre-manche. Guettons le bruit qu’il y fera certainement.
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