mardi 31 mai 2011

Very Bad Trip 2 : to scratch or not to scratch ?


Parfois je me pose des questions. Je me demande si c’est moi qui en demande trop aux autres. Si je ne pousse pas le bouchon un peu loin. Si finalement, ça ne serait pas moi l’emmerdeur. Parfois je me demande ce que les autres voient dans une séance de cinéma. Ce qu’ils en attendent, comment ils aiment la vivre. En attendant de pouvoir répondre à ces questions à deux balles qui en valent des millions pour moi, je continue à m’énerver, ou à m’indigner pour employer l’expression de Stéphane Hessel. Oh non, cette indignation-là n’a rien à voir avec celle des espagnols. La mienne est purement liée à la religiosité que j’insuffle dans mon rapport aux séances de cinéma. La mienne tient dans la constatation régulière et décourageante du comportement égoïste et je-m’en-foutiste de certains spectateurs.

Je sais je radote un peu, mais tant que le radotage ne portera pas ses fruits sur mes congénères spectateurs, je persisterai. Ce vœu pieu est un comble pour l’athée que je suis, mais on peut toujours rêver. L’expérience qui déclenche ici cette nouvelle saillie – bah oui, ça ne sort pas de nulle part – s’est tenue dimanche soir devant Very Bad Trip 2, la suite de la comédie surprise de 2009 qui avait, fait rare pour une comédie américaine, fait hurler de rire le box-office français. Si je m’amusais dans la queue à penser que la thaïlandaise qui discutait devant moi avec ses deux amis était en fait un homme (sa voix laissait largement planer le doute, et ses mains aussi), mon problème du soir s’est trouvé assis à ma gauche dans la salle.

Un grand brun à lunettes, casque à la main, venu avec deux potes apparemment, l’air un brin bobo et cool. Pas le type de spectateur qui fait hurler mon radar à emmerdeurs, mais apparemment, mon radar était grippé ce soir-là. Le premier truc qui m’a gonflé chez lui, c’est sa faculté à étaler amplement ses jambes au-delà de son accoudoir (notre frontière !), et à leur imprimer un régulier mouvement balancier de gauche à droite, cognant inlassablement sa jambe contre la mienne sans que ça le gêne le moins du monde. C’était les pubs, je suis plus tolérant pendant la mise en bouche du film, donc j’ai laissé faire. Le film commencé, il gardait ses aises, mais en étant moins remuant.

Et puis, je me suis mis à entendre un scratch. Ce bruit familier qui peut être causé par tout et n’importe quoi, des chaussures réajustées, un portefeuille qui s’ouvre. J’ai eu l’impression que le bruit venait du rang de devant, je me suis penché un peu pour voir d’où venait ce bruit qui semblait ne pas vouloir s’arrêter. Et le bruit s’arrête. Bon, tant mieux. Je me replonge dans le fil de la comédie de Todd Phillips, qui au passage se résume à un remake en Thaïlande du premier opus, donc sympa, donc parfois drôle, mais donc aussi sans franche surprise, sans saveur ajoutée, sans aucune chance de marquer durablement les esprits, malgré une virée dans un strip club trans éveillant des souvenirs traumatisants (mais hilarants pour nous) à l’un des personnages.

Tandis que je m’amusais gentiment donc des aventures de Phil, Stu, Alan et leur singe dealer, le scratch reprit son bruit entêtant, obsédant, agaçant. Quelqu’un autour de moi s’amusait à coller et décoller un scratch, une fois, deux fois, trois, quatre, dix, quinze fois. J’étais tellement persuadé que le bruit venait de devant qu’il m’a fallu plusieurs minutes pour comprendre que ce harassant scratch venait de mon voisin de gauche, et de son casque de scooter. Le mec s’emmerde-t-il ? Non, il a l’air de bien se marrer, mais régulièrement, il attrape le scratch du casque, et le colle, décolle, recolle. Comme s’il était seul avec ses potes, comme s’il était chez lui, comme si la salle n’était pas pleine et que je n’étais pas juste à côté de lui, à tolérer déjà ses jambes invasives.

Après avoir fait preuve de patience, je n’y tiens plus et me tourne vers le mec en lui balançant un « Oh ! » réprobateur pensant qu’il comprendra de quoi il retourne et me laissera continuer à profiter du film. Mais non. Ca ne suffit pas. Le mec est soit aussi naïf qu’une carotte, aussi lent qu’une tortue ou tout simplement con comme ses pieds. Difficile de déterminer sur le coup. Toujours est-il qu’à mon « Oh ! », mon voisin me regarde alors droit dans les yeux, benoitement, et me dit « Pardon ? Quoi ? ». J’ai horreur qu’on me parle pendant un film, alors sa remarque a le don de m’énerver. « C’est bon là le scratch ! ». « Quoi ? » répond-il encore.
« Le bruit du scratch là, j’essaie de regarder le film.
- Ah bon ? Ah bah fallait le dire.
- Bah je le dis là.
- Je pouvais pas savoir.
- Ca me parait évident pourtant ».
Fin de la discussion qui n’aurait même pas dû être. Je vois le mec se pencher vers le pote à sa gauche et lui murmurer quelque chose, sûrement qu’il a un chieur à côté de lui, j’en sais rien et je m’en fous. Tout ce que je constate, c’est que j’ai raté une scène du film pendant que monsieur scratchait et me racontait sa vie. Heureusement que Very Bad Trip 2 est un film léger, j’arrive ensuite à me replonger dedans sans trop de difficulté malgré l’énervement ambiant.

J’ai beau être maniaque, je comprends que l’on fasse des petits bruits anodins, de façon ponctuelle, devant un film. Mais qu’on soit capable de jouer inlassablement avec un scratch de façon bruyante dans une salle de cinéma, et que l’on s’étonne ensuite que cela puisse gêner les autres, en regardant son voisin comme si c’était lui l’emmerdeur, c’est gonflé. D’autant que 20 minutes plus tard, monsieur recommençait à jouer avec son scratch. J’ai été à deux doigts de m’énerver, j’ai attendu, et finalement c’est son deuxième pote qui lui a demandé d’arrêter. Ouf, je ne suis pas fou.

dimanche 29 mai 2011

J'ai testé le Ciné-Club de Jean Douchet

Il y a tant de choses à voir et à faire quand on est cinéphile à Paris, c’est affolant et excitant à la fois. On peut se contenter d’aller voir un maximum de nouveaux films sortant chaque mercredi, cela suffirait à couper de toute vie sociale. A une époque c’est ce que je faisais. Je passais tous mes week-ends, du samedi matin au dimanche soir, enfermé au cinéma pour voir toutes les nouveautés qui me tombaient sous les yeux. J’en suis sorti assoiffé de variété, d’une recherche de cinéma différente, plus ouverte, plus large, plus excitante. Il y a tant de projections spéciales sur la Capitale qu’il est difficile de se satisfaire du tout-venant.

Il y a quelques jours, un ami cinéphile était de passage à Paris, en provenance de province et assoiffé de projections parisiennes. On s’est retrouvé à côté du Quartier Latin sans avoir prévu exactement ce que nous verrions, lorsqu’il me proposa d’aller au Cinéma du Panthéon. C’était justement le soir où Jean Douchet tenait sa séance Ciné-Club. Tiens, voilà une chose que je n’avais encore jamais faite, assister au Ciné-Club de Douchet, cet éminent critique et historien du cinéma qui a commencé à aiguiser sa plume cinéphile sur les même bancs critiques que Truffaut, Godard et la bande de la Nouvelle Vague passée de critiques à cinéastes.

J’ai donc découvert qu’à chaque saison du Ciné-Club de Douchet, une thématique, ou un cinéaste est mis à l’honneur. Cette saison qui touche à sa fin est consacrée à Jean Renoir. Décidément, les choses sont bien faites, car le cinéma français pré-Nouvelle Vague, et notamment Renoir, est une de mes impardonnables lacunes d’amateur de cinéma. On alla donc prestement s’installer sur des sièges couleurs chocolat de la salle du Cinéma du Panthéon pour découvrir (pour ma part) Le testament du docteur Cordelier, un des derniers films tournés par l’impressionnant cinéaste français, réalisé à l’origine pour la télévision en 1959. Jean Douchet nous rejoindrait en fin de projection pour discuter du film.

En ouverture du film, Jean Renoir lui-même s’installe dans un studio pour présenter son film et commencer à en faire la narration, jusqu’à ce que sa voix disparaisse pour laisser le film se tisser de lui-même. Ce qui se trame ensuite sous nos yeux est une variation sur le célèbre Docteur Jekyll et Mister Hyde créé par Robert Louis Stevenson. Un notaire, maître Joly, découvre que son ami le docteur Cordelier, spécialiste ès psychiatrie, fait des expériences dans son laboratoire sur un certain monsieur Opale, un sinistre individu recherché pour de nombreuses agressions dans les rues de Paris.

Pour tout dire, je ne connaissais pas ce Testament du Docteur Cordelier. Et si l’on m’avait mis le film sous les yeux sans me préciser son année, j’aurais eu du mal à croire qu’il s’agissait là d’un film de 1959. Difficile de croire que le film est contemporain de la naissance de la Nouvelle Vague, tant il est empreint d’un classicisme formel renvoyant à un cinéma au moins dix ans plus vieux. Pourtant il ne s’agit pas là d’un défaut. Justement, Renoir se joue de l’aspect vieillot de son film en y insufflant des éclairs de modernité, bien que rares. Il y a également un plaisir décalé à voir ces acteurs surjouer de façon déjà surannée pour l’époque. Jean-Louis Barrault et Teddy Bilis se complaisent dans l’archétype d’un jeu à l’ancienne.

Et puis il y a ce mystère planant sur le film, cette compréhension que nous sommes là devant un cas à la Jekyll et Hyde sans que cela soit révélé avant longtemps dans le récit. C’est ce qui fait le sel du film, cette volonté de retarder le moment où la lumière sera faite sur cet étrange personnage qu’est Opale, sous les traits duquel Barrault brille de fantaisie dans ses démarches et mimiques. Un film m’ayant donné le goût de refaire mes lacunes en vieux cinéma français.

A la fin de la projection, Jean Douchet s’est présenté devant nous, se lançant avec volubilité sur le film de Renoir, son histoire, ses caractéristiques, la difficulté à en saisir toutes les nuances et interprétations. Douchet est calme, encyclopédique dans ses connaissances, et parle longuement. Il se sera même amusé à faire un parallèle entre la bourgeoisie ayant l’argent et le pouvoir qu’ils s’octroient sur leurs employés sans argent avec une certaine actualité résumée par l’acronyme DSK… Douchet donne la parole aux spectateurs que nous sommes, demandant combien d’entre nous n’avaient jamais vu le film, nous donnant le micro pour lui poser des questions, rebondissant sans cesse dans la direction qu’il veut donner à sa master class. C’est amusant à observer, et passionnant à écouter. On ressort de la salle dans la nuit, tenté de venir à la prochaine cession, en attendant de connaître le cinéaste mis à l’honneur la saison prochaine.

jeudi 26 mai 2011

Martha Marcy May Marlene : Cannes à Paris, c'est parti !

A l’heure où le plus grand festival de cinéma au monde vient de tirer sa révérence, les films qui ont fait son actualité pendant douze jours débarquent sur Paris. Pas ceux qui se disputaient la Palme d’Or – même si celui qui l’a emportée est déjà à l’affiche – mais ceux qui dans l’ombre des plus médiatisés ont également fait le quotidien des festivaliers, et le bonheur de nombreux cinéphiles. Les sélections parallèles sont reprises dès cette semaine dans trois lieux de la capitale : Un Certain Regard au Reflet Médicis, La Quinzaine des Réalisateurs au Forum des Images, et dans quelques jours La Semaine de La Critique à la Cinémathèque Française.

L’an dernier, c’est par ce biais qua j’avais découvert, dans la roue de la Croisette, Ha Ha Ha, The Silent House, Simon Werner a Disparu, Bedevilled (sortie en France directement en DVD sous le titre Blood Island), et l’inédit Two Gates of Sleep. Si l’an passé les films de la Quinzaine des Réalisateurs étaient très alléchants, Un Certain Regard et La Semaine de la Critique prennent le dessus en 2011. Malheureusement, l’agenda très serré, le temps d’un week-end seulement, de la reprise de la Semaine de la Critique va m’empêcher d’y assister alors que le Grand Prix de cette section, Take Shelter, est un des films que j’attends le plus cette année.

Tant pis, j’ai déjà de quoi voir des films excitants entre les deux autres sections. Et je me suis déjà mis à l’œuvre en allant voir aujourd’hui Martha Marcy May Marlene au Reflet Médicis. Remarqué au Festival de Sundance l’hiver dernier, le premier long-métrage de Sean Durkin sera certainement l’un des films indépendants américains les plus remarqués de l’année. Sa protagoniste, Martha, est une jeune femme ayant fuit la secte dans laquelle elle avait élu domicile depuis deux ans. A bout, sans repères, perdue, elle est recueillie par sa sœur. A cette dernière, Martha ne parvient à avouer où elle a passé les derniers mois au cours desquelles elle n’a donné aucun signe de vie. Tandis qu’elle redécouvre la vie extérieure auprès de sa sœur et son beau-frère, qui ne savent pas par quel bout la prendre, Martha est hantée par les souvenirs de sa vie au sein de la secte.

Sean Durkin choisit donc une structure narrative troublante, entrecoupant passé et présent avec une fluidité qui confine parfois à l’exercice de style. Mais ce travail formel n’est là que pour souligner une atmosphère étrangement angoissante, prenant le récit - et du même coup le spectateur - à la gorge. Posé entre la campagne new-yorkaise (la secte est située dans une ferme de l’État) et une villa en bord de lac du Connecticut, la caméra de Durkin, rarement à l’arrêt, cherchant toujours le mouvement, glisse avec un soin faisant rapidement naître la tension. C’est son cadre, cette terre, cette forêt, ce lac, qui inscrivent un climat naturaliste accentuant les sensations. C’est le regard d’Elizabeth Olsen, une jeune comédienne à la fois fragile, belle et inquiétante. C’est la confrontation entre ces deux mondes, celui tellement matériel de la sœur et de son époux dans leur grande villa face à celui épuré et anachronique de la ferme sectaire.

Ce qu’il y a d’intéressant dans le regard de Durkin, c’est qu’il rend froid les deux mondes qui sont censés être opposés. Si son regard sur l’embrigadement et la vie sèche et violente au sein de la secte accouchent d’une jeune femme perturbée et déconnectée de la réalité, on la voit être recueillie dans une famille froide malgré elle, dans laquelle Martha ne parvient pas à trouver des repères censés la ramener vers la lumière. Martha Marcy May Marlene s’inscrit dans une mouvance de cinéma indépendant américain fuyant la complaisance vis-à-vis du portrait de l’Amérique à dépeindre, une Amérique grise au mieux, anxiogène, à mille lieux du clinquant des villes, dans cette campagne floutant la temporalité, où la seule vérité est l’incertitude. On sent le film proche de Two Gates of Sleep, déjà à Cannes l’année dernière, ou plus récemment de Winter’s Bone, deux films dans lequel on trouvait, hasard ou pas, Brady Corbet dans le premier et John Hawkes dans le second, les deux figures masculines marquantes de Martha Marcy May Marlene. Le film n’a pas volé le Prix Regard Jeune à Cannes.

mardi 24 mai 2011

Clap de fin sur le Festival de Cannes 2011

Je crois que ça ne m’était jamais arrivé auparavant. Alors que le Festival de Cannes a fermé ses portes sur son palmarès dimanche soir, Robert De Niro et son jury m’ont retiré cette savoureuse attente annuelle des films les plus excellemment primés à la manifestation azuréenne. Chaque année, alors que la Croisette rend son verdict, le décompte commence pour cultiver l’impatience de voir la Palme d’Or et son dauphin s’étant consolé avec le tout de même éloquent Grand Prix. Pas cette année. Cette année, moi-même et un certain nombre de spectateurs n’ayant pas mis les pieds à Cannes ont déjà vu ces deux films. Deux films on ne peut plus différents que j’ai accueillis et vécus avec une émotion bien différente.

Au gigantisme cosmique de The Tree of Life a répondu la banalité attendue du Gamin au Vélo, tous deux déjà sortis en salles. Dimanche soir j’étais devant la télé, ne coupant pas à ce rendez-vous annuel qu’est la Cérémonie de Clôture du Festival de Cannes. Si l’ouverture est somme toute affaire d’affinité avec la maîtresse de cérémonie (ou le maître) – et cette année je dois bien avouer que l’affinité n’était pas forte avec Mélanie Laurent – la clôture est une bulle de curiosité où l’excitation peut trouver sa place. C’est généralement le cas pour moi. J’adore cette attente spéculative des derniers instants. Ces visages parsemés dans cette immense salle sur lesquels on s’amuse à reconnaître celles et ceux qui ont donc été rappelés par Thierry Frémaux, signifiant donc leur présence ou celle du film au Palmarès du plus grand festival de cinéma au monde.

Chaque année, je regarde ce Grand Théâtre Lumière et découvre avec une joie ou une déception très enfantine celles et ceux qui verront leurs noms associés à jamais au Festival de Cannes. Chaque année je me demande lesquels des films que j’ai guettés et scrutés dans la presse et sur le web vont repartir avec un prix. Chaque année je suis déçu dans une certaine mesure, car on s’en est tous rendu compte un jour ou l’autre, les palmarès pleinement satisfaisants n’existent pas, ou si rarement.

En ce jour de mai 2011, je découvrais les visages de Ryan Gosling et Nicolas Winding Refn, ceux de Jean Dujardin, Bérénice Bejo et Michel Hazanavicius, ceux des frères Dardenne, de Cécile de France et de leur gamin au vélo, ceux de Maïwenn Le Besco et de ses acteurs et actrices, et d’autres dont les visages ne me disaient rien. Et les spéculations commençaient. Ma première pensée alla aux Dardenne : « Eh merde, ils sont encore là eux, pourvu qu’ils n’aient pas la Palme ! ». Ma peur de les voir entrer dans l’histoire en devenant les premiers à remporter trois Palmes d’or me donna tout à coup des sueurs froides. Pourvu qu’ils aient un « petit » prix, même si une telle chose n’existe pas à Cannes.

Prix du Jury… Polisse de Maïwenn. En voilà une que je déteste, mais son film a l’air bien. Heureusement, elle semble meilleure cinéaste que mère. Prix du Scénario… Footnote (Hearat Shulayim), l’israélien qui n’a pas déchaîné les passions pourtant parmi les festivaliers, même si la présence au générique de l’excellent Lior Ashkenazi me rend tout de suite ce film attirant. Prix d’interprétation féminine… Kirsten Dunst pour Melancholia de Lars Von Trier. Le jury aurait-il trouvé là le moyen de récompenser un film presque unanimement salué par la critique (française ?) sans pour autant donner un prix au banni Lars Von Trier suite à ses propos plus que douteux lors de sa conférence de presse ? Peut-être.

Tandis que Jean Dujardin venait chercher son Prix d’Interprétation Masculine sur scène - en saluant théâtralement Robert de Niro - pour sa performance muette et en noir et blanc dans The Artist, et passé l’excitation et la grande satisfaction de voir Nicolas Winding Refn se voir attribuer le Prix de la Mise en Scène pour son alléchant Drive (que Cannes a transformé en mon film le plus attendu des mois à venir, à peu de choses près), je me suis donc mis à m’inquiéter. Il ne restait plus que le Grand Prix et la Palme d’Or à remettre, et les Dardenne et leurs acteurs étaient toujours assis dans la salle à attendre une récompense. Oh la mauvaise blague. Me faites pas ça. Je l’ai vu il y a moins d’une semaine leur Gamin au vélo, et les voir rafler la Palme avec un tel film me minerait. Donnez-leur le Grand Prix mais pas la Palme. Le Grand Prix mais pas la Palme. Le Grand Prix. Allez. Yes. YES ! Ouf ! Ils ont le Grand Prix ! Ex-æquo avec Bir zamanlar Anadolu’da (Once upon a time in Anatolia), le nouveau film du turc Nuri Bilge Ceylan, dont presque toutes les critiques s’accordaient à dire que ce film contemplatif de 2h40 en toute fin de festival, c’était un ennui assez inévitable. Mais Ceylan, comme les Dardenne, parvient toujours à charmer les jurys cannois avec ses films, et ne repart jamais sans son prix. Voici donc les belges et le turc à se partager le Grand Prix, succédant à Des Hommes et des Dieux.

Mais alors qui donc pour la Palme ? Je n’ai pas repéré d’autre équipe de film à l’écran, même si j’ai raté le début de la cérémonie et que j’ai donc pu rater un cinéaste. Lorsque Robert De Niro se lève pour annoncer le film et son réalisateur, je me cambre vers la télé, j’ouvre mes oreilles au maximum pour entendre le titre le plus rapidement possible, et je tombe presque des nues en entendant de Niro annoncer The Tree of Life de Terrence Malick. Je ne l’attendais pas. Je ne l’attendais plus. Avant le festival, c’était une Palme d’Or toute désignée, imbattable, assurée. Après sa projection lors du Festival, les sifflets se disputant aux applaudissements, les critiques dubitatives dialoguant avec celles l’intronisant au panthéon des œuvres cinématographiques les plus ambitieuses et fascinantes, j’imaginais un jury tout aussi déchiré et un autre film s’en allant avec la Palme.

J’avais oublié que les plus belles Palmes sont celles qui divisent, qui bousculent, qui enthousiasment autant qu’elles laissent perplexes. Le 64ème Festival de Cannes s’est achevé, un excellent cru paraît-il. Dans les sections parallèles, Take Shelter, pour lequel j'ai déjà mentionné mon attente, a remporté le Grand Prix de la Semaine de la Critique, ou Kim Ki-Duk, revenant avec Arirang, succède pour le Prix Un Certain Regard à son compatriote coréen Hong Sang Soo qui l'avait lui remporté pour Ha Ha Ha en 2010. 
Je ne doute pas d’être révolté par l’absence de certains au Palmarès une fois que je les aurai vus, dans quelques mois. Mais je doute encore moins que Robert De Niro, Olivier Assayas, Johnnie To, Martina Gusman, Jude Law, Linn Ullmann, Uma Thurman, Mahamat Saleh Haroun et Nansun Shi ont fait le choix de l’exigence, de l’évidence et de la grandeur pour le Festival de Cannes dont ils avaient la responsabilité. Ils ont bien fait de récompenser l’invisible Malick.

samedi 21 mai 2011

La critique a-t-elle bien fait de me donner envie de voir "Le gamin au vélo" des frères Dardenne ?

La multiplication des blogs et avec eux des bloggeurs s’offrant un statut plus ou moins établi de critique a largement posé la question ces dernières années de l’évolution de la critique cinéma. Autrefois si influente, pouvant faire ou défaire la carrière d’un film, a-t-elle encore aujourd’hui un impact sur les longs-métrages, a-t-elle encore une influence notable sur les choix des spectateurs ? A l’heure où tout un chacun peut se faire critique en quelques clics, c’est un débat qui revient souvent.

Pour moi la question ne se pose même pas, la critique est une composante essentielle au 7ème Art, et j’ai beau les lire avec parcimonie, je serais bien attristé de voir les internautes supplanter le travail journalistique. Je ne lis pas les critiques des films que je veux voir. Chacun a ses propres attentes de la critique, et pour moi il ne s’agit pas de savoir ce qu’untel a pensé d’un film qui m’intéresse et que je n’ai pas encore vu. Si je tiens vraiment à voir le film, tout le monde peut cracher dessus, j’irai tout de même.

Là où le rôle de la critique est cruciale, c’est lorsqu’il s’agit de convaincre. C’est d’attirer l’attention du spectateur sur un long-métrage sur lequel ses yeux ne se seraient peut-être pas penchés sans elle. C’est pour cela que j’aime les critiques. J’aime le désir qu’elles font naître en moi. Parfois je le regrette après avoir vu le film, parfois je leur suis reconnaissant. En ce moment, j’ai le nez plongé chaque matin dans les quotidiens, à l’affût des petites perles cannoises recensées et encensées dans la presse, histoire de caler les titres dans un coin de ma mémoire en attendant d’avoir l’occasion de voir les films en question.

Et puis la critique, c’est aussi l’occasion de redonner leur chance à des cinéastes auquel on ne croit pas. Des cinéastes que l’on a suivis sur recommandation de la critique ou du bouche-à-oreille et qui ont déçu. Des cinéastes qui vont recueillir quelques critiques qui vont taper dans le mille et donner envie d’y retourner. Je viens d’en faire l’expérience avec Le gamin au vélo de Jean-Pierre et Luc Dardenne.

Les frangins belges, j’y avais goûté il y a une dizaine d’années, suivant une unanimité cinéphile qui les couronnait comme des cinéastes majeurs de notre époque. Et je me suis cassé les dents dessus. Rien à faire, je suis resté hermétique au cinéma des Dardenne, l’œil torve face à leur sombre cinéma social. Du coup j’avais un peu laissé tomber les Dardenne. Je n’étais allé voir ni L’enfant ni Le silence de Lorna, découragé par avance, sûr de mon manque d’intérêt pour eux. Et voilà qu’est arrivé Le gamin au vélo en compétition (une fois de plus) au 64ème Festival de Cannes. Sur le papier, sans rien savoir du film avant sa présentation cannoise, il me semblait peu probable que j’aille le voir en salles.

C’est là que les critiques sont intervenues. Le nez zigzaguant entre les journaux, j’ai lu plus que de raison les articles consacrés au film, juste assez pour savoir ce qu’en pensaient les critiques. Sans surprise, comme il est de coutume avec les Dardenne, les critiques sont unanimes, enthousiastes. Avec les frères belges, il m’en faut plus pour me convaincre. Et justement, il y a eu ce petit plus. Il a été écrit que le film était plus léger que leurs précédents. Qu’il s’en dégageait une forte émotion. Que c’était un film lumineux. Merde, je ne pouvais tout de même pas rater ça ! Et du coup je n’ai pas traîné, et avant que le festival ne s’achève, voici que j’ai déjà vu Le gamin au vélo… et que j’en suis ressorti avec la nette impression d’avoir trop fait confiance en ces échos cannois à la limite du dithyrambe.

Eh non, ce n’est finalement pas avec ce nouveau film que les Dardenne me compteront parmi leurs admirateurs. Il n’y a rien à faire. Oui les frères ont un excellent sens de la mise en scène, oui le regard qu’ils posent sur leurs contemporains est précis, oui ils ont le don pour aller débusquer de bons acteurs (ce jeune Thomas Dorcet, au-delà du personnage, s’impose nettement)… Mais la sauce ne prend pas avec moi. Je n’arrive pas à voir par-delà l’ordinaire. Je n’arrive pas à dépasser l’irritation que peuvent provoquer les personnages en moi. Je n’arrive pas à déceler la légèreté ou la lumière. Peut-être que grandir dans un HLM de Seine-Saint-Denis m’a immunisé contre l’émotion de la grise Belgique des Dardenne, je ne sais pas. Je ne ressens ni force, ni émotion devant ce gamin que le père a abandonné et qu’une jeune femme va tenter de prendre sous son aile alors que lui ne pense qu’à rejoindre ce père qui ne veut plus de lui. Les personnages m’ont même agacés, que ce soit ce gamin borné ou cette femme m’apparaissant quasi masochiste (c’est fou ce qu’on est capable d’endurer pour un gamin qu’on ne connaissait pas quinze jours plus tôt et qui est capable de vous frapper). J’ai du mal à accepter et assimiler l’évolution que leur donne les Dardenne, une évolution en un claquement de doigts qui ne me convainc pas. Je n’y crois pas. C’est dur pour un tel film. Je n’aime pas les personnages, bien que je trouve le jeune garçon formidable dans le rôle titre. J’ai l’impression que l’on parle de lumière parce que le film est tourné dans un cadre plus ensoleillé que d’habitude et que les frères nous bouclent le film en deux temps trois mouvements par un happy end, peut-être pas déplacé mais qui laisse un peu incrédule. Si c’est cela la lumière, ça me fait de la peine pour les cinéastes sachant l’apporter même dans la grisaille.

Depuis, j’ai parcouru les critiques de Melancholia de Lars Von Trier, un autre des cinéastes que j’appréhende et fuis parfois. Et elles m’ont donné envie, les malines. Malgré les propos inacceptables et inconscients que le cinéaste a tenus à la conférence de presse cannoise, il est fort probable que je me laisse tenter lorsque le film sortira en salles… Heureusement, parfois, les critiques m’aiguillent vers des pépites, aussi. Vivement la prochaine.

mercredi 18 mai 2011

Et The Tree of Life fut...

On sait tous quels films nous font un peu plus trépigner d’impatience que les autres. Ceux dont on guette chaque image, chaque infime information qui nous rapprochera un peu plus de ce sésame souvent trop long à sortir. Parfois cette excitation est intense dans les mois qui précèdent l’arrivée du film et s’affaiblit un peu lorsque le long-métrage s’affiche enfin sur les écrans, à force de trop attendre, à force d’avoir lu trop d’articles qui ont tué la surprise, à force de guetter de nouveaux films s’étant depuis profilés à l’horizon. Et parfois l’excitation reste intacte jusqu’à la dernière seconde.

C’est finalement dans ces derniers instants que l’on reconnaît les films que l’on attend le plus. Je ne suis pas sûr que l’excitation de l’imminence m’était nécessaire pour constater à quel point j’avais envie de voir The Tree of Life. Pourtant ces minutes qui ont précédé l’entrée en salle ont été intenses. Je me souviens de ce jour d’hiver 2006 où je me tenais dans le couloir menant à la salle 1 de l’UGC Ciné Cité des Halles, attendant que les portes s’ouvrent. Je me souviens de ces mots qui résonnaient inlassablement dans ma tête (« Je vais voir le nouveau Malick ! Putain ça y est je vais voir Le Nouveau Monde ! »). C’était il y a un peu plus de cinq ans, mais c’est la même excitation que j’ai retrouvé en ce mardi 17 mai lorsque je me suis planté dans la file d’attente, devant cette salle dans laquelle j’allais découvrir The Tree of Life.

Mon cœur battait la chamade et je m’énervais de voir ces gens avançant nonchalamment le long de la file, croyant qu’ils ne s’agissait pas là de celle de The Tree of Life, et ne faisant pas demi-tour pour faire la queue une fois arrivés devant et constatant leur erreur. Ces gens-là, à cet instant précis, je leur aurais bien décroché la tête. Bon, au moins gueulé dessus un bon coup. Mais nul n’est plus prompt que moi pour gérer l’entrée en salles et s’assurer d’une bonne place, encore plus lorsqu’il s’agit d’un film de Malick. L’excitation dure bien jusqu’à la dernière seconde. La dernière seconde, c’est celle où la salle s’éteint et où les logos des distributeurs apparaissent à l’écran, annonçant la fin de l’attente. La fin d’une longue attente en l’occurrence. C’est une des sensations les plus incroyables au monde. Savoir que LE film commence, celui que l’on espère depuis des mois, des années. On a compté les jours, les heures. Et le voilà prêt à débouler sous nos yeux.

The Tree of Life a en plus la particularité de n’avoir été dévoilé officiellement que la veille aux yeux de ses premiers spectateurs, ceux du Festival de Cannes. Au moment où je pose mes yeux dessus, il ne s’est pas écoulé 48 heures depuis la première projection officielle du film. Il n’est sorti nulle part ailleurs qu’en France. Les autres pays devront attendre quelques jours, quelques semaines voire quelques mois. Comment voulez-vous que l’excitation baisse en sachant tout cela ?

Je ne sais combien de spectateurs attendent The Tree of Life avec une ferveur comparable à la mienne. Je ne sais combien de spectateurs peu familiers du style et de l’œuvre de Terrence Malick iront voir son cinquième long-métrage. Un certain nombre j’imagine, à en juger par le taux de remplissage des salles, jusqu’ici assez fort. Pour certains qui ne le connaissaient pas, ce sera peut-être une révélation. D’autres seront abasourdis et déçus, à n’en pas douter. Certains qui aiment les autres films de Malick aussi, probablement. Quelques heures se sont écoulées depuis ma sortie de la salle, et une partie de mon attention se balade encore dans l’esprit de Malick. Le temps s’est arrêté.

Quels sont donc les questionnements qui agitent un homme pour le pousser à réaliser une telle œuvre ? Je n’avais jamais vu de film comme The Tree of Life, ce qui en soit n’est pas un gage de qualité je vous l’accorde. Pourtant c’en est un, si, mais là n’est pas la question. Le film en fera fuir plus d’un. J’étais trop absorbé pour faire attention à ce qui se passait dans ma salle, mais j’aurais du mal à croire qu’aucun spectateur ne se décourage devant une œuvre aussi déroutante. Malick n’est pas un amateur en matière de cinéma méditatif, contemplatif et métaphysique, mais il n’était jamais allé aussi loin. Il bouscule ses atermoiements personnels plus forts que jamais. Si The Tree of Life est son film le plus extravagant, c’est aussi, certainement, son œuvre la plus personnelle.

Toutes les rumeurs ont circulé sur le film au cours des années ayant précédé son tardif dévoilement. Une bonne partie de ces rumeurs est vraie. Une bonne partie de ces rumeurs va faire peur et inquiéter tout autant qu’elles exciteront la curiosité. Car qui n’a pas envie de goûter à un film hors normes nous offrant la vie à l’échelle de l’univers comme cadre, et l’histoire d’une famille américaine en proie aux remous de la vie comme point d’ancrage à un récit flottant à travers les âges et les espaces ? Qui n’a pas envie de voir ses repères cinématographiques bousculés, son confort chamaillé, son esprit stimulé par un cinéaste ayant plus à offrir qu’un film ?

Le degré métaphysique de l’œuvre du cinéaste déroutera, oui. Mais The Tree of Life est une proposition de cinéma sensoriel qui réfute tout carcan. Carcan visuel, carcan spirituel, carcan intellectuel, il n’y a rien de tout cela ici. Malick a toujours exprimé ses réflexions sur la vie, la mort, la place de l’homme dans l’univers, la perte de l’innocence dans son cinéma, et The Tree of Life en est probablement l’expression paroxystique. C’est une plongée dans l’espace, c’est une séance de théologie, c’est une exploration de la psyché humaine. C’est aussi, ne laissons pas l’expansion de l’univers et les dinosaures nous distraire de cette évidence, un puissant drame sur le deuil. Le deuil impossible d’une mère, celui impuissant d’un frère. Si Malick offre une grandeur éblouissante autant qu’étrange et maladroite à son film en le projetant dans l’infiniment grand, il noue en son cœur un drame familial poignant, celui d’un fils ne sachant comment se comporter entre ce père autoritaire qu’il déteste peu à peu et cette mère si douce qui est un refuge pour lui et ses frères. Derrière ses grands airs, c’est ici que se joue le film, dans cette Amérique des années 50 que Malick capte avec une puissance, une vérité et une poésie offrant un ravissement exaltant.

The Tree of Life est probablement le film le plus attendu de 2011 sur la planète cinéphile. C’est un film tellement ambitieux qu’il le semble parfois trop, tellement dense qu’il aurait probablement bénéficié d’une durée plus importante (même s’il dure déjà 2h18), tellement fascinant que l’on ne peut s’en détacher. Malick est un chef d’orchestre minutieux et grandiose, sinon la musique, les compositions d’Alexandre Desplat et les classiques (aaah, La Moldau de Smetana !), et la photographie d’Emmanuel Lubezki, ne nous hypnotiseraient pas tant. Malick nous livre une idée de cinéma différent. Réflectif autant que majestueux, stimulant autant que frustrant. Malick a fait de plus grands films que The Tree of Life, quoi qu’il soit trop tôt pour l’affirmer, parce qu’il a vu tellement grand que c’en est trop et pas assez. Il est impossible d’écrire ce qu’est The Tree of Life. S’il est un film qui se vit, c’est bien celui-là. J’ai envie de raturer, de déchirer, d’effacer et réécrire tout ce qui précède. Je veux dire ma transe autant que ma déception, je veux parler du monument et de ses failles. Je veux dire qu’il faut être fou et culotté pour oser tisser une toile telle que celle de The Tree of life, une toile si magistrale et pourtant si naïve, une œuvre si large et pourtant pointue. La célébration de la vie est rattrapée par l’expression de ses douleurs.

Je ne sais pas ce qu’attendent les spectateurs qui iront voir le cinquième film de Terrence Malick. Certains ne viendront peut-être que parce que Brad Pitt joue dedans. Mais ils seront bousculés. Ils seront stimulés. Ils auront peut-être un goût de déception, mais ils vivront un voyage cinématographique comme aucun autre. Cela valait bien quelques années d’attente.

mardi 17 mai 2011

Je n'aime pas les spectateurs des Champs-Elysées

De l’étranger, les Champs-Élysées évoquent le charme de Paris, sa splendeur et sa notoriété. On dit les parisiens chauvins de leur chère capitale, pourtant demandez-leur, et la plupart d’entre eux se feront un plaisir de démonter cette flatteuse réputation de la soi-disant plus belle avenue du monde. Je suis le premier à être amoureux de Paris, mais les Champs-Élysées, c’est bien souvent au-dessus de mes forces. Pour qui n’a jamais visité la capitale française, ne placez pas de trop hauts espoirs dans la fameuse avenue reliant la Concorde à l’Arc de Triomphe. Sa reconnaissance est bien usurpée.

L’une des caractéristiques de la voie parisienne, c’est notamment qu’elle regorge de cinémas. Bon, « regorger » n’est peut-être pas, peut-être plus, le terme approprié, puisque les salles à avoir fermé dans le quartier ces dernières années sont plus nombreuses que celles ayant ouvert. Tout de même, une trentaine d’écrans parsème l’avenue, plus une demi-douzaine sur les rues adjacentes, voilà de quoi occuper quelques après-midis cinéphiles. Pourtant plus le temps passe, plus j’évite les cinémas des Champs-Élysées. Ses grandes enseignes. Le Balzac et le Lincoln alentours ne sont pas inclus dans cette liste de cinémas devenant insupportables ou presque, tout comme l’agréable Publicis. Non, ce sont bien les Gaumont et UGC en cause, enfin, plutôt leurs spectateurs.

A une époque je fréquentais avec plaisir les salles des Champs-Élysées, particulièrement la majestueuse salle de l’UGC Normandie, mais au fil du temps, je suis devenu allergique au public fréquentant ces cinémas. Il ne s’agit point de snobisme, seulement du désir de voir les films dans le calme et le respect que je leur montre. Or, sur les Champs, il ne se trouve pas une séance sans qu’une poignée de spectateurs affichent un manque de respect exaspérant pour les films et les spectateurs qui partagent la salle avec eux. Du bruit, du bruit encore du bruit, cela résonne de partout entre les rangs des salles de l’avenue. C’est à cause de cela que j’ai déserté les cinémas du quartier, et à cause de cela qu’à chaque fois que je suis aculé à y retourner, ou que les circonstances m’amènent à y voir un film, mon exaspération se confirme.

Voici qu’une nouvelle expédition à l’UGC George V m’a une fois de plus convaincu que moins je fréquente les salles des Champs, mieux je me porte. C’était pour Tomboy, le joli film de Céline Sciamma, quelques années après le déjà réussi Naissance des pieuvres. Les circonstances m’ont amené à le voir dans cette salle, et je m’étais persuadé que cela ne devrait pas poser de problème puisqu’après tout, « c’est plutôt un film de cinéphiles tranquilles » pensais-je. Bah oui mais c’est con, j’avais oublié que ces données sont vaines dans les salles des Champs-Élysées.

Dans la petite salle 11 du George V, ils m’ont pris au piège ! J’étais là, enfoncé au centre de mon quatrième rang lorsque je me suis rendu compte que les deux couples qui m’entouraient à chaque bout de rang allaient peut-être bien me pourrir la projection. Le premier, à ma droite s’est montré tout de suite bruyant. Un homme et une femme ayant décidé de manger dans la salle, ouvrant leurs yaourts, rangeant leurs sacs plastiques, un désagrément qui aurait pu être unique et ponctuel, mais malheureusement les tourtereaux avaient aussi envie de commenter le film de temps en temps, à voix haute ou presque, à mon grand enchantement… Le deuxième couple, qui m’a fait me lever pour les laisser passer et se caler contre le mur alors que le film commençait (déjà ça j’adore, quand la salle fourmille de fauteuils libres), était constitué de deux mecs avec leur sac de sport encombrant. Ils n’étaient pas installés depuis cinq minutes qu’ils se léchaient goulûment la face, suffisamment pour que moi-même et le type assis le rang devant puissent profiter à l’oreille de leur joie de s’être trouvés un coin tranquille pour se bécoter.

Personnellement que des mecs, des filles ou des extraterrestres viennent se peloter au cinéma ne me gêne pas du moment qu’ils n’en font pas profiter tous les fauteuils alentours, mais malheureusement les deux mecs ici présents semblaient à peine se soucier de savoir si leur absence de discrétion allait me (nous) gêner. Au cas où cela n’aurait pas suffi, leurs discussions - pour lesquelles ils ne prenaient parfois pas la peine de franchement baisser la voix, eux non plus - a fini de m’agacer totalement. Ces deux-là n’étaient pas là pour le film, car leurs discussions ne semblaient pas tourner autour du film, ou si peu étant donné leurs étonnements occasionnels quant au film (« Ah c’est une fille en fait le garçon ? » bien après qu’on l’ait tous remarqué…).

Et pendant ce temps, moi au milieu, je me concentrais sur le film, essayant de ne pas laisser mon attention être détournée par les bruits des uns et les commentaires des autres. J’essayais de ne pas laisser mon attention se détourner de Laure, cette gamine qui se rêve garçon et se fait passer pour tel aux yeux de ses nouveaux amis, dans cet immeuble dans lequel elle vient d’emménager. J’essayais de me laisser emporter par la fougue de ces gamins, par les doutes et les hésitations identitaires, cet atermoiement des genres à un âge que l’on peut à peine qualifier d’adolescent. La justesse des mots et des êtres, la douceur de l’atmosphère, cet unique éclair musical (« Always »), ces regards et ces sourires ont fini de m’emporter malgré le parasitage ambiant.
Je crois que je vais éviter l’UGC George V pendant un p’tit bout de temps… jusqu’à une autre circonstance imprévisible. La prochaine fois, je n’aurais peut-être pas la chance de parvenir à rester dans la bulle du film.

samedi 14 mai 2011

Cyclone à la Jamaïque, des pirates dans une salle rouge

Le bug de Blogger semble enfin résolu et je peux reprendre le fil de l'Impossible blog ciné... Lorsqu’il s’agit d’aller attraper un classique sur grand écran, je choisis souvent un monument m’ayant jusqu’ici échappé… à moins que ce ne soit un grand film que je ne connaisse qu’à travers la petite lucarne. Et puis de temps en temps, un film dont je ne sais rien sort de nulle part. Je ne savais rien de Cyclone à la Jamaïque. Ce film d’Alexander MacKendrick ne s’était jamais approché à portée de mon radar, jusqu’à ce que mon amie Élo ne porte mon attention dessus. Quelques semaines plus tard, un mardi en fin d’après-midi où Tomboy était enfin dans ma visée, j’apprends que Cyclone à la Jamaïque ne sera plus à la Filmothèque du Quartier Latin le lendemain, et me rend compte qu’il ne reste plus que la séance de 17h35 si jamais je veux le voir sur grand écran.

Une fois que le désir d’un film est né en moi, difficile de le refermer d’un claquement de doigts, et me voici donc à me diriger vers la salle de la rue Champollion sans une Élo qui m’incendiera le lendemain en apprenant que j’étais la veille allé voir le film de MacKendrick sans elle…

Une fois de plus, c’est dans la salle rouge que je me retrouve quand j’étais sûr de me retrouver dans la bleue que j’affectionne plus. Zut. Ce qui m’embête plus, c’est ce couple assis deux rangs devant moi avec ses deux enfants, une famille dont le père est vulgairement bruyant avant que le film ne commence, me donnant une bonne sueur froide quant à la possibilité qu’il nous perturbe la projection. Ce qu’il fera par à-coups en trifouillant un sac plastique sans grand ménagement pour les camarades de salle que nous étions, quoi qu’à certains moments je me demandais si la cinémaniaque du premier rang n’en faisait pas autant, du bruit.

Toujours est-il qu’avec son Cinémascope délicieusement large, Cyclone à la Jamaïque nous a offert une balade océanique où la mélancolie s’est étrangement invitée à l’aventure. Quel est donc ce film méconnu naviguant entre l’humour, l’évasion et l’amertume ? Le film de pirates traditionnel n’est pas là, la surprise est grande et infiniment plaisante. MacKendrick s’attache à une jeune fratrie de garçons et filles élevés sous le soleil de la Jamaïque que les parents renvoient en Angleterre afin qu’ils perdent cette sauvagerie locale au contact de la bonne éducation de Sa Majesté. Mais le navire qui devait les conduire est pris d’assaut par des pirates qui les embarquent sans s’en rendre compte avec eux. Les enfants vont goûter à une aventure hors-la-loi tandis que les hommes à bord n’apprécient guère que leur capitaine se prenne d’affection pour les chenapans.

De ce récit, on aurait pu attendre un film d’aventures familial cocasse, gentil et grand public. Pourtant Cyclone à la Jamaïque nous entraîne sur un terrain plus ambitieux, plus risqué, plus emballant. Si MacKendrick situe bien le regard à hauteur d’enfant, il choisit comme personnage central une préadolescente ne se contentant pas de tenir tête aux pirates. Elle convoie une force de caractère qui mêle l’insouciance de l’enfance et sa cruauté. Le terme « cruauté » est peut-être trop fort, mais MacKendrick ne choisit pas de poser un regard tendre et insouciant sur l’enfance. L’enfance qu’il dépeint a dans son insouciance un aspect abrupt qui confère parfois à une dureté atténuée. Chez MacKendrick, le film de pirates en costume apporte un regard incroyablement moderne sur l’enfance, balayant les conventions, cherchant à le regarder avec une sincérité et une vérité confondantes.

Son film ne se contente pas d’être un bon divertissement. Il brosse le rapport des adultes avec l’enfance à travers le regard du Capitaine Anthony Quinn sur cette enfant, à la limite de la décence parfois tant la liberté et l’insouciance qu’elle représente le fascinent et le mettent mal à l’aise. C’est une relation conflictuelle et néanmoins tendre, une collision d’univers qui fait évoluer chacun des deux personnages. Au contact du loup de mer brigand, l’enfant perd son insouciance et son innocence, tandis que lui retrouve à travers l’enfant une sérénité qui n’est pas compatible avec l’homme qu’il est.

Cette aventure des mers se teinte d’amertume quand tant d’autres films du genre se seraient certainement contentés de la joie. Anthony Quinn était un acteur qui ne m’avait jamais vraiment tapé dans l’œil, mais sa performance en pirate régénéré par l’enfance sied à merveille au film, autant que l’étonnante Deborah Baxter, sa jeune partenaire. Jusqu’ici, Alexander MacKendrick n’était pour moi que le réalisateur de Tueurs de Dames, la comédie british avec Alec Guiness et Peter Sellers. Désormais il sera également celui qui a déjoué les codes du film de pirates. Chapeau.

mardi 10 mai 2011

The Conspirator de Robert Redford sortira-t-il en salles en France ?

Chaque année, des dizaines de films que je désire ardemment voir sur grand écran ne parviennent jamais jusqu’aux salles obscures hexagonales. Ils sont coréens, européens, ou même américains, sont souvent trop grands publics quand ils ne sont pas en langue anglaise, trop confidentiels quand ils nous viennent des États-Unis, mais il est certains longs-métrages qu’on ne s’attend pas à ne pas voir parvenir jusqu’à nous. Avec Robert Redford comme réalisateur, un sujet aussi fort que l’assassinat d’Abraham Lincoln, et une distribution riche et éclectique réunissant entre autres Robin Wright, Kevin Kline, James McAvoy, Tom Wilkinson, Evan Rachel Wood, Danny Huston, Colm Meaney et Justin Long, j’étais loin de me douter que The Conspirator ferait partie des films qui n’auraient pas les honneurs d’une sortie cinéma française. Pourtant en lisant un article du Monde du 9 mai consacré aux films de cinéma ne trouvant pas le chemin des grands écrans français, j’ai découvert que le huitième long-métrage réalisé par Redford n’aurait droit qu’à une diffusion sur Canal Plus début 2012 sans passer par la case cinéma.

J’ai raconté il y a quelques semaines les liens qui unissent l’amateur de cinéma que je suis à l’acteur Redford, pourtant il ne faudrait pas croire que son travail de cinéaste m’ait moins accompagné au fil des années. Des sept longs-métrages que « Bob » a réalisé avant The Conspirator, seul Milagro n’est jamais parvenu jusqu’à mes yeux. Et au milieu coule une rivière fut l’un des premiers films à m’avoir profondément ému au cinéma, alors que je n’avais pas encore douze ans. Ma mère était venue me chercher à la sortie du collège pour me proposer de l’accompagner. Je me souviens avoir grogner, un peu, mais m’être finalement laissé entraîner, un peu pour lui faire plaisir, un peu pour avoir une bonne excuse pour ne pas faire mes devoirs, mais pas franchement pour le film en lui-même, une histoire de pêche en VO, pas franchement la tasse de thé d’un collégien de 11 ans.

Pourtant oui, ma mère a bien fait de m’y entraîner, car je me souviens encore de l’émotion qui m’a étreint à la vision de cette histoire de famille américaine, de celles qui sont forgées dans cette prose narrative un brin appuyée mais terriblement efficace. Je revois ce vieil homme plongé dans ses souvenirs, les pieds dans l’eau, maniant sa canne comme un instrument artistique, longtemps après que ceux dont il nous a raconté la vie à ses côtés soient décédés, et repense à l’un des premiers émois cinéphiles à s’être manifestés en moi. C’est à Robert Redford que je dois ce fort souvenir. Et même si ses films suivants n’ont pas eu le même impact sur moi, ils ont su me séduire, Quiz Show par sa verve et ses acteurs, L’homme qui murmurait à l’oreille des chevaux par ses cadres impressionnants sur le Grand Écran de la Place d’Italie, La légende de Bagger Vance par la performance inattendue de Will Smith, Lions et Agneaux par l’audace d’un réalisateur osant un film parlant politique autour de tables pendant 1h30 en champs / contre-champs. Des gens comme les autres, qui lui avait valu d’inattendus Oscars, je l’avais entre-temps vu à la télévision.

Robert Redford n’est certainement pas le plus grand cinéaste américain, même pas le meilleur acteur reconverti en réalisateur, mais son cinéma sachant allier classicisme et audace force la curiosité. Il est trop tôt pour que je perde espoir de voir The Conspirator, son récit du procès ayant suivi l’assassinat d’Abraham Lincoln, sur grand écran. Le film est sorti il y a quelques semaines aux États-Unis dans des conditions difficiles (une période de l’année peu propice, une combinaison de salles indécise semblant condamner le film avant même sa sortie) et a malgré tout réussi à trouver un public assez inespéré alors qu’il semblait condamner à passer inaperçu.

Cette info découverte au détour d’une phrase dans Le Monde, annonçant que le huitième film réalisé par Robert Redford n’avait pas trouvé de distributeur pour le sortir en salles en France, m’a fait pester lundi matin. Mais n’a pas encore éteint l’espoir de tout de même le voir débarquer sur grand écran dans les mois à venir. Dieux du cinéma, venez à moi !

vendredi 6 mai 2011

Source Code, Bon à tirer, Detective Dee... c'est moi ou il y a plein de bons films en ce moment ?!

Il y a deux types de vacances. Celles pour lesquelles je prends un billet d’avion pour le bout du monde, et celles pour lesquelles je me contente de mon pass navigo pour profiter de Paris en toute liberté. Au moment où j’écris ces lignes, il ne me reste plus que quelques heures avant le retour à la réalité professionnelle. Mais les douze jours qui viennent de s’écouler entre le repos et les larmes m’auront permis d’épancher ma soif de cinéma en beauté. Après plusieurs semaines où les films marquants se comptaient sur les doigts d’une main, mes quelques jours de vacances ont pris le pouls d’une qualité cinématographique en hausse ces derniers jours.

Sont-ce les tristes circonstances de ces derniers jours qui m’ont fait apprécier avec plus de facilité ce que les films avaient à m’offrir, ou est-ce une réelle hausse de la qualité, je manque de recul pour m’en convaincre, mais le fait est que j’aime presque tout au cinéma en ce moment. Et parce que ça m’a fait du bien, moi qui n’ai pas l’habitude de chroniquer tous les films que je vois, je vais aujourd’hui faire l’effort d’avoir un mot pour tous les films que j’ai vus ces derniers jours. Bien sûr je ne m’épancherai pas sur les qualités de Rabbit Hole, le beau film de John Cameron Mitchell, puisque j’en ai parlé hier. Tout comme j’en ai profité pour évoquer Le Chaperon Rouge (ouf, un des rares mauvais films vus ces derniers jours).

Bon, le sans-faute n’a pas non plus été réalisé, puisque Scream 4 et Mon père est femme de ménage m’ont finalement laissés sur ma faim, le premier par abus d’effets de style saoulant, le second par une sympathie trop légère qui ne mène au bout du compte nulle part. Parlons des autres films, plutôt. Parlons de Source Code, le tant attendu second film de Duncan Jones, qui avait ébloui avec son premier essai Moon, et confirme ici qu’il est l’un des jeunes cinéastes les plus ambitieux et élégant en matière de science-fiction. Il propulse avec Source Code Jake Gyllenhaal dans une course contre la montre, le faisant revivre inlassablement les mêmes huit minutes dans la peau d’un autre afin d’élucider un acte terroriste.

Comme avec Moon auparavant, Jones surprend en poussant son film plus loin que ce qu’on attend de lui, s’intéressant tout autant aux questions éthiques et morales de notre société qu’à l’efficacité de son action. Le film court en ne choisissant pas la voie de la facilité, bousculant les attentes quitte à dérouter dans son dénouement. Il y en a deux qui bousculent eux aussi, d’une autre façon, ce sont les frères Farrelly avec leur opus Bon à tirer (B.A.T.), dans lequel les frangins à qui l’on doit les cultissimes Mary à tout prix et Dumb & Dumber (entre autres, bien sûr), ne reculent devant rien. Ils lâchent les brides de la réserve pour s’épancher dans le burlesque pur, osant le scabreux jusqu’au-boutiste comme au temps de leur gloire dans les années 90. Ils écorchent le modèle moral de la famille prisée par la comédie américaine pour la confronter à l’infantilité masculine et la tromperie féminine.

Ces dernières années, les frères Farrelly sont tombés dans l’oubliette du box-office aux États-Unis, et si une fois de plus Bon à tirer est resté dans les limbes du business, les réalisateurs sont parvenus à dynamiter d’humour la pellicule, aidé par un duo Owen Wilson / Jason Sudeikis qui distille un mélange de candeur puéril et d’énormité hilarante qui fait mouche. Mes voisins de salle doivent encore se rappeler de mon rire explosif. Mais les américains n’ont pas l’apanage du rire en ce printemps. Stéphane Kazandjian réussit un petit tour de force avec Moi Michel G Milliardaire Maître du Monde, un faux documentaire qui se plait à tourner en dérision l’ultra-libéralisme via un faux personnage plus vrai que nature (hum… Jean-Marie Messier…), Michel Ganian, grand patron représentant à la perfection le capitalisme moderne, self made man pas si self made que ça, qui autorise un documentariste gauchiste à le suivre partout pour en tirer un film. La farce est grande, François-Xavier Demaison et Laurent Lafitte d’une complicité parfaite, et le cadre économique planté le fruit d’un travail monstrueusement bien fait. Le film est une comédie délicieusement inattendue.

Au rayon bonne surprise, je plaide coupable devant Devil de John Erick Dowdle, éreinté par tous mais qui m’a malgré tout fait marcher. La faute en revient certainement à la patte Shyamalan, cinéaste qui tombe peu à peu au fond du gouffre mais ici producteur et auteur qui parvient à retrouver un peu de ce qui a fait le sel de ses meilleurs films, à savoir un sens du récit qui happe l’attention du spectateur avec cette histoire de cinq étrangers qui se trouvent bloqués dans un ascenseur qui pourrait bien se révéler être la dernière demeure de quatre d’entre eux... Certes il ne s’agit pas là d’un film d’épouvante majeur, mais il applique une narration posée à un concepte efficace, ce qui rend le film tout à fait prenant. Bien sûr pour ce qui est du récit, pour qui aime plus alambiqué il faut plus certainement se tourner vers Road to Nowhere.

Premier film de Monte Hellman en plus de vingt ans, ce film indépendant américain ne se complait pas dans une idée classique du récit, préférant l’éclater, le tordre, jouer avec pour mieux tromper le spectateur. En cela il rappelle assez fortement le cinéma de David Lynch, poussant la confusion jusqu’à l’angoisse et cette sensation que le fantastique pourrait s’introduire. Il s’agit du récit d’un tournage, un film sur le cinéma et la création donc, dans lequel on ne sait jamais vraiment ce qui est vrai de ce qui ne l’est pas. Hellman s’intéresse à la dualité des êtres et fait ainsi un gros clin d’œil à Mulholland Drive de Lynch, qui reste tout de même intouchable pour la sensualité, la terreur et le mystère. Baran Bo Odar regarde lui du côté de la Corée.

Le jeune cinéaste suisse signe avec Il était une fois un meurtre, récemment récompensé au Festival du Film Policier de Beaune, un polar empruntant largement à Memories of Murder de Bong Joon-Ho. Je n’ai pas lu d’interviews d’Odar, mais pas besoin de sa confirmation pour voir dans son film une filiation avec le chef d’œuvre coréen. Comme lui, son film commence dans un champ de blé dans les années 80. Comme lui, ses flics se heurtent à un tueur insaisissable dans une province campagnarde, voyant leurs vies chamboulées et leur force mentale balayée par cette course dans le vide. En choisissant de montrer d’entrée de jeu au spectateur le visage des meurtriers, le réalisateur ne cherche pas à jouer la carte du suspense conventionnel. Il appuie sur les codes moraux, jonglant avec la fine ligne de l’humanisation de pédophiles. Il en fait trop, sûrement, mais son ambition explose à l’écran et impressionne, à défaut de forcer l’admiration.

Admiration est un terme que j’emploierai en revanche volontiers pour qualifier Detective Dee : le mystère de la flamme fantôme. Tsui Hark, que l’on n’avait plus vu sur un grand écran français depuis Seven Swords, livre un morceau de cinéma virtuose, fringant et emballant. Son film, c’est Sherlock Holmes au temps de la Dynastie Tang, lorsque la jubilation du cinéma investigateur se métisse avec la flamboyance des wu xia pian. Il offre un spectacle mêlant le fantastique et l’épique, où le cinéma redevient un plaisir d’enfant, où l’écran projette les rêves de nos esprits. Le réalisateur hongkongais rend ses lettres de noblesse au cinéma d’aventures, lorsqu’il est question de plaisir pur à partager, s’amusant même au passage à caresser la censure dans le sens du poil en laissant le pouvoir triompher sur la rébellion, alors que le film en filigrane se plait à dresser un portrait manipulateur, tricheur et meurtrier de ce même pouvoir. Tsui Hark laisse éclater la parabole politique, offrant plusieurs degrés de lecture, promettant à ceux qui ne jurent que par l’évasion deux heures éclatantes, et à ceux aimant que leurs méninges soient mises à contribution un film où il est possible de décrypter un portrait on ne peut plus moderne de la Chine, derrière cette enquête sur de mystérieuses morts au 10ème siècle de notre ère, alors qu’une régente contestée est sur le point d’accéder au trône d’Impératrice.
Le seul vrai reproche que je pourrais formuler à l’encontre de Detective Dee, c’est l’emploi peu convaincant de la HD numérique, certainement plus souple pour le cinéaste mais qui ne met pas en valeur la flamboyance que l’on attend du film.

Merci Duncan Jones, les Farrelly Bros., Tsui Hark et les autres, d’avoir contribué à égayer mes vacances parisiennes.

jeudi 5 mai 2011

Rabbit Hole, la manie de la tête

Je me plais régulièrement à mentionner au détour de mes billets les cinémaniaques que je croise dans le quotidien de mes pérégrinations cinéphiles parisiennes. Je les décris avec toute l’amitié de celui qui se reconnaît un peu en eux tout en espérant garder suffisamment de recul pour ne pas tout à fait devenir aussi atteint que certains d’entre eux. Même si au fond, je sais qu’une partie de moi est déjà un peu perdue. Ceux qui me fréquentent dans les salles obscures savent à quel point je peux me montrer maniaque devant un grand écran, même si je ne l’admets parfois qu’à demi-mot.

Samedi après-midi j’ai vu un très beau film qu’il était temps que j’attrape avant qu’il ne disparaisse des écrans parisiens, Rabbit Hole. Le second film de John Cameron Mitchell, Shortbus, était un pur moment d’extase cinématographique qui avait fait peur à trop de spectateurs peu à l’aise avec la représentation de la sexualité à l’écran. Retrouver le cinéaste américain sur un projet comme Rabbit Hole tient presque de l’étrange, tant cette histoire d’un couple de quadras cherchant à reprendre pied quelques mois après le décès accidentel de leur petit garçon semble à mille lieues de Hedwig and the Angry Inch et Shortbus. Pourtant Mitchell fait preuve d’une grâce réalisatrice qui transcende les barrières apparentes, celles qui pourraient faire croire qu’il doit être difficile d’être touché par Shortbus si l’on n’a pas une sexualité débridée partant dans tous les sens, et celle qui donc ici imposerait d’être parent pour comprendre la détresse d’un tel couple.

John Cameron Mitchell nous plonge avec délicatesse dans les affres humaines de la perte, qu’elle soit vécue ou causée. Le destin des parents rendus orphelins de leur enfant touche autant que la confusion triste de l’adolescent qui a causé malgré lui leur malheur. Mais je n’étais pas parti pour tirer les louanges de Rabbit Hole si rapidement. J’avais commencé à faire mon mea culpa de maniaque car Rabbit hole a une fois de plus fait ressortir cet aspect de ma cinéphilie. Je ne m’étais pas rendu compte que le film de John Cameron Mitchell était en danger de disparaître des écrans parisiens, déjà plus présent que dans trois salles trois semaines après sa sortie. Le week-end dernier la mission Rabbit Hole s’est donc inscrite à mon programme.

A l’origine, je devais aller le voir à l’UGC Orient-Express. Mon amie Élo, qui souhaitait également le voir, nous avait choisi la séance. Mais lorsque nous sommes arrivés devant le cinéma, j’ai constaté que le film était projeté dans la salle 7. Et là j’ai été obligé de faire un caca nerveux. Je ne vais voir un film dans la salle 7 de l’Orient-Express que contraint et forcé par l’absence d’autres options. Ceux qui ont déjà mis un pied dans cette fameuse salle me comprennent un peu j’en suis sûr. Ses 39 fauteuils et son écran minuscule ressemblent plus à une salle de projection privée avec tremblements de RER qu’à une salle cinéma, et je crois bien qu’il n’y a qu’une salle des Sept Parnassiens que j’ai déjà visité et qui s’est avérée plus petite que celle-là.

Du coup me voici planté devant l’Orient-Express, tiraillé par le fort désir de voir le film, mais mon incapacité à me résoudre à le voir ici. Élo, pendant ce temps, hallucine, je le sens bien, et comprend avec désolation que je ne vais pas me résoudre à changer d’avis. Plan B donc, on ira voir Rabbit Hole plus tard à l’UGC Odéon, mais en attendant on se dirige vers Le Chaperon Rouge au Ciné Cité des Halles (je sais, mais après le sale coup que je fais à mon amie, il faut bien faire une concession et accepter un autre deal). Je passerai l’évocation du film de Catherine Hardwick dans lequel Amanda Seyfried montre ses grands yeux à un loup-garou dans un conte filmé rappelant plus Twilight que les frères Grimm.

Quelques heures après la débâcle Orient-Express, nous nous retrouvons donc à Odéon pour Rabbit Hole. Je savais bien que le film était très certainement projeté dans une petite salle pas franchement bandante non plus, mais de toute façon meilleure que la salle 7 de l’Orient-Express. La salle n’est pas grande, on se poste au troisième rang. Devant nous un père et ses deux fils s’installent. La tête devant moi ne devrait pas me gêner, mais Élo a hérité du père qui est parti pour lui boucher les sous-titres. A ma gauche la place se trouvant derrière l’autre fils, semblant moins grand que le père, est encore libre, et je propose à Élo de se mettre là plutôt. Elle accepte et se décale. Quelques minutes plus tard, pendant les bandes-annonces, on constate qu’en fait, le fils est aussi grand que le père. Zut. La tête devant moi étant un peu plus petite, je propose à Élo d’échanger, mais elle m’assure que ça ne la gêne pas. J’insiste, mais elle campe sur sa position. Entre temps, son ancienne place a été réquisitionnée par une spectatrice, et à ma grande désolation, lorsque le film commence, le père qui était devant elle s’affale totalement et je constate que sa tête n’aurait finalement pas du tout gêné mon amie. Je m’en veux et lui propose donc encore une fois qu’on échange de place, mais une fois de plus, elle décline.

Le film commence, mais moi, tout ce qui attire mon attention, c’est la tête de ce grand ado qui barre une partie de l’écran à mon amie par ma faute. Je m’en veux tellement de l’avoir fait changé de place, je n’arrive pas à me retirer cette tête de l’esprit, et je passe le premier quart d’heure du film (même un peu plus) à penser à elle. Moi elle ne me gêne pas le moins du monde, pas plus que celle qui est devant moi, mais voilà, elle m’obsède autant que si c’était ma vision qu’elle barrait.
Finalement la qualité du film de John Cameron Mitchell, la délicatesse de ce couple en perdition incarné par Nicole Kidman et Aaron Eckhart, l’esquisse de cet adolescent rêveur et percé à jamais par la mélancolie, cette émotion douce et juste, auront eu raison de cette encombrante tête dans mon esprit. Ce que ça peut être fatigant d’être maniaque au cinéma… Heureusement que les films sont là pour me faire oublier que je peux être chiant devant un grand écran.

(P.S. : après avoir vu le film, je ne comprends toujours pas la laideur de l’affiche française, qui du coup n'illustre pas ce billet)
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