mercredi 27 octobre 2010

Il était temps de voir ces duels sur grand écran...

Le spectateur que nous sommes évolue perpétuellement. C’est un délicieux constat. Le cinéphile que je suis aujourd’hui n’est pas le même que celui que j’étais hier, et j’espère bien qu’il n’est pas le même que celui que je serai demain. Depuis quelques mois, j’aime plus que jamais aller voir des reprises en salles. Je sens plus que jamais que je peux nettement me passer de certaines nouveautés au profit de classiques qui manquent à ma connaissance, ou certains que j’aime à revoir. Voilà plusieurs années que je me plais à m’installer en salles devant un vieux film, mais le nombre se fait de plus en plus grandissant.

Après Abattoir 5 et L’étrangleur de Boston, je me suis servi ma troisième reprise du mois avec Les duellistes de Ridley Scott. Je me suis donc engouffré dans la petite rue Champollion adorée des cinéphiles parisiens (c’est vrai qu’une si petite rue contienne ces trois cinémas incontournables de la cinéphilie parisienne que sont Le Champo, le Reflet Médicis et la Filmothèque du Quartier Latin est un vrai trésor). C’est à la Filmothèque que le premier long-métrage de Ridley Scott est programmé, dans la salle rouge, tandis que la rétro Larry Clark affiche Another day in paradise en salle bleue. Deux belles petites salles, même si j’ai une préférence pour la petite salle bleue, étonnamment. Celle-ci, avec le film de Larry Clark, attire d’ailleurs ce soir-là Grégoire Leprince-Ringuet qui déboule un peu en retard sous les yeux des spectateurs attendant dehors que les portes de la salle rouge ne s’ouvrent.

Mais ne parlons pas plus longuement de l’acteur de Djinns (ce chef-d’œuvre...) pour revenir aux Duellistes. Il était temps que je découvre enfin le premier long-métrage de Ridley Scott, l’un des trois films du cinéaste que je n’avais jamais vu (les deux autres étant G.I. Jane et Une grande année, que j’ai moins hâte de rattraper je dois l’avouer). Il était temps que je me laisse entraîner dans les duels auxquels se livrent Keith Carradine et Harvey Keitel, officiers de l’armée Napoléonienne à l’aube du 19ème siècle. Le premier voit le second revenir constamment à la charge vers lui, plus de quinze années durant, le provoquant inlassablement en duel entre deux batailles pour laver un honneur qu’il estime bafoué. Il était temps.

Il était temps que je vois les premiers pas de Ridley Scott hors de la pub, avant qu’Alien et Blade Runner en fasse un réalisateur culte du cinéma américain. Depuis devenu un mastodonte de l’industrie hollywoodienne avec ses 1492, Gladiator, Kingdom of Heaven et autres Robin des Bois, Scott se montrait en 1977 sous son meilleur jour en adaptant cette histoire de Joseph Conrad. Le face-à-face Carradine / Keitel est un fascinant rapport de force, de ceux qui partent d’un flocon de neige pour se transformer en avalanche. De ceux qui marquent une vie, qui la tordent et la déforment. C’est la confrontation d’un bien et d’un mal qui n’en sont pas, d’un oppressé et d’un oppresseur dont le manichéisme ne saurait être évident.

Il était temps que je me plonge dans ces à-côtés des campagnes napoléoniennes, dans lesquelles on aperçoit Albert Finney et Pete Postlethwaite, cette observation ponctuelle et étalée sur le temps de deux hommes qui ne se croisent que pour croiser le fer au fil des années. C’est une folie à laquelle Ridley Scott confère une poésie incroyable. C’est le jusqu’auboutisme d’idéaux et de façons de penser, qui sous les yeux de Scott prennent une dimension où la noblesse (d’âme) côtoie la stupidité (des actes).

Il était temps que je me trompe, car je me suis trompé. Au fil du film, je pensais que Les duellistes ne pourrait être une réussite que si l’oppressé perdait face à l’oppresseur. Que seule cette issue ferait de D’Hubert, le personnage interprété par Keith Carradine, une grande figure tragique de cinéma, et du même coup des Duellistes un beau film. Je me suis trompé car Ridley Scott fait des Duellistes un beau film sans le tragique attendu. Il a fait un beau film en faisant finalement de l’oppresseur un être perdu. Scott a trouvé une voie alternative à l’une des deux issues tragiques envisagées par un duel. Celle de la défaite sans gloire, tout autant que la victoire sans gloire. Celle du brouillage des rapports de force. Celle d’un monde où le pouvoir peut changer de main. Celle d’un monde où la force n’est pas forcément figée dans le même camp tout le temps. Celle d’un monde où l’écrasement de l’ennemi ne passe pas forcément par son annihilation.

Il était temps que je voie à quel point Ridley Scott pouvait surprendre à une époque (voilà quelques années que ça ne lui est plus arrivé). Et que de sa caméra découlait la simplicité, l’émotion et la beauté. Comme cette séquence finale dans laquelle Harvey Keitel surplombe de toute sa confusion une vallée baignée d’un froid et majestueux soleil. Qu’il est beau ce plan. Qu’il est beau ce film.

lundi 25 octobre 2010

Une projection mystère un samedi matin...


Samedi matin, rendez-vous à 10h30 à l’Élysée Biarritz pour une petite projection mystère. Si à une époque j’aimais bien me lever tôt le week-end pour aller au ciné, ces dernières années, j’ai perdu l’habitude au profit des grasses matinées. Mais il y a des circonstances où je suis motivé pour faire un effort, et une invitation à une projection test en est une. Quand le réveil a sonné à 9h15 après m’être couché à près de 3h, la seule réflexion que j’étais capable de formuler était « C’a intérêt à être un bon film… ». C’est tout le sel et le risque des projections tests, ne pas savoir le film que l’on va voir.

La dernière à laquelle j’avais assisté, au printemps, était De vrais mensonges, le nouveau film de Pierre Salvadori, qui sortira en décembre avec Audrey Tautou en tête d’affiche. C’est dire à quel point on peut y voir les films à l’avance. Pour vous donner une autre idée, J’avais vu AO, le dernier Neandertal lors d’une de ces projections tests il y a presque exactement un an. Bon, si le film de Jacques Malaterre n’est sorti que douze mois plus tard, c’était certainement pour régler les nombreux problèmes du long-métrage qui tel quel n’était qu’un bon gros nanar risible. Je ne suis en revanche pas retourné le voir en salle pour vérifier si un an de postproduction supplémentaire a amélioré le film…

Samedi matin donc (ne nous égarons pas), je me rendais à ma troisième projection test en un an (les trois au même Élysée Biarritz, à côté des Champs Élysées). Cette fois ce n’est pas moi qui avait été invité mais un ami qui m’avait proposé de l’accompagner. Arrivés au cinéma, on nous tend le traditionnel premier questionnaire, celui qui en général donne de forts indices sur le long-métrage que l’on s’apprête à voir (le second, destiné à savoir ce que l’on a précisément pensé du film, est distribué après la projection). Bingo comme dirait Hans Landa. Outre les questions usuelles destinées à cerner le profil du spectateur (âge, profession, fréquences de films vus au ciné…), une question trahit le genre de film dans lequel on s’embarque : « Quels films parmi cette liste avez-vous vus ? ». Parmi les films cités, uniquement des documentaires animaliers ou écologistes : Microcosmos, Les Ailes Pourpres, Le Peuple Migrateur, Home, Le Syndrome du Titanic, Océans… « Bon bah ça sent le documentaire animalier tout ça ! » dis-je à l’ami que j’accompagne. Celui-ci, qui n’a plus le temps d’aller au cinéma depuis qu’il est doublement papa, tire un peu la tronche à cette prédiction. Mais la présence conséquente d’enfants dans la salle penche également vers cette forte intuition qui va se confirmer quelques minutes plus tard.

La salle s’éteint, et là, le logo Disney Nature, la branche documentaire des Studios Disney qui avait distribué Les Ailes Pourpres l’année dernière, apparaît à l’écran. Le titre original peu évocateur, pas encore traduit, apparaît alors, Hidden Beauty, ainsi que le nom du réalisateur, Louie Schwartzberg. Il ne m’évoque rien, mais le documentaire animalier n’est pas le genre qui me fait trépigner des mois à l’avance, même si je vais voir la plupart en salles. La mission que je me fixe, dans les premières minutes, c’est de comprendre quel va être le sujet du film. Et je dois bien avouer que pendant le premier quart d’heure, je suis dans le flou, le peu que je distingue me faisant peur plus qu’autre chose.

Les plans dans la forêt luxuriante, avec chute d’eau et animaux en tous genres, singes, perroquets, insectes et autres, sont accompagnés d’une voix off féminine se lançant dans un speech sur la coexistence de la faune et de la flore, dans lequel la notion de la reproduction des espèces se distingue. Oh la, me dis-je, on est partis pour un documentaire sur la reproduction des animaux… Mais la voix off parle à la première personne, répétant « Je » sans cesse. Mais dans la peau de quel animal se glisse-t-elle ainsi ? Finalement la caméra vient se poser sur… une fleur. « Putaiiiiiiiin » murmure-je à l’oreille de mon voisin, « j’y crois pas on va se taper un documentaire sur une fleur !? »… En quelques instants, plusieurs sentiments m’étreignent. La désolation est le premier. S’ensuit la colère (« J’ai dormi 6 heures cette nuit pour un documentaire sur une orchidée ? ») et la peur (« Mon Dieu j’espère que ça ne sera pas aussi mauvais que AO… »). A cet instant, une partie de moi pense à ce lit que j’ai trop tôt quitté pour une fleur…

Heureusement, cette panique ne dure que le temps du premier quart d’heure. Car finalement, Hidden Beauty (que l’on trouve sur le site de Disney Nature sous le titre Naked Beauty : A love story that feeds the world) se dévoile vraiment, et nous révèle quel est son véritable sujet : l’importance de la pollinisation dans l’ordre des choses sur notre planète. Dit comme ça, c’est étrange pour un sujet de documentaire produit par Disney et destiné semble-t-il à un public familial. Pourtant c’est bien la le cœur du film de Schwartzberg. Le film part aux quatre coins du continent américain pour observer les relations entre les fleurs et leurs pollinisateurs, ces insectes et oiseaux qui permettent la reproduction des plantes.

Papillons, colibris, abeilles et chauves-souris, tous sont les héros de ce film écologiste criant l’importance des fleurs pour la vie sur Terre, et le rôle déterminant que ces animaux pollinisateurs jouent dans l’équilibre vital de notre planète. Au fur et à mesure que Hidden Beauty se dévoile ainsi, le film sait se montrer tantôt passionnant, tantôt admirable visuellement. Quelques séquences sont de toute beauté, notamment ces instants magiques où les papillons monarques d’Amérique du Nord dorment par dizaines de milliers accrochés aux arbres, les recouvrant tout à fait de leurs majestueuses couleurs, avant de tous s’éveiller et décoller en même temps.

Malgré tout, Hidden Beauty n’est pas exempt de défauts, loin de là. En plus du premier quart d’heure qui nous lance de façon inquiétante dans le film, des fautes de goût se succèdent régulièrement. Tout d’abord le titre français, révélé par le questionnaire. Le film n’a pas encore de date de sortie, ils auront donc le temps d’en choisir un plus adéquat, car Pollen, le titre qui semble pour le moment retenu, est franchement moyen (non ?). Un film qui s’intitule ainsi part sur de mauvaises bases, même si le sujet de son film est la pollinisation. Ensuite la voix-off. S’il m’est arrivé de signaler à quel point la voix off est un art en fiction, en documentaire, elle est plus aisée et attendue. Elle ne gêne pas ici, elle est même nécessaire bien sûr, mais la voix est mal choisie. C’est une voix féminine chaleureuse, limite sexy, qui paraît déplacée dans le contexte, et contribue à rendre le premier quart d’heure inquiétant. Le générique de fin nous révèle qu’en VO, c’est Meryl Streep qui s’y colle, eh bien croyez-moi, en VF, ce n’est pas une équivalente française.

Autre point noir du film, la musique. Composée par le groupe Bliss, elle déçoit. Elle ne correspond pas à Hidden Beauty / Pollen. La musique est quelque chose de déterminant dans les documentaires de ce type, et elle s’avère souvent être un élément fort (celles de Microcosmos et Le peuple migrateur sont des bijoux en la matière). La musique ressemble à celle d’une fiction et manque d’identité. Musique inquiétante dans les moments tendus, violons dans les moments tendres, elle pourrait se coller sur n’importe quel film hollywoodien, au lieu de développer un univers unique et décalé.

Hidden Beauty est décidément loin d’être parfait. Son rythme est aléatoire, son ton se montre parfois trop didactique, d’autres fois pas assez (je vois d’ici certains enfants avoir du mal à assimiler certaines choses). Dommage, car le documentaire sait se montrer vraiment intéressant dans sa volonté de mettre en lumière le lien déterminant entre les fleurs, les animaux et les hommes. Dommage encore, car il sait se montrer beau, ludique et éducatif. Il parvient à nous divertir par ses images finement filmées (même si je suspecte les effets numériques d’avoir été utilisés à plusieurs reprises), et nous informer de l’importance du cycle de pollinisation, et les dangers que représenteraient sa disparition.

Pour le moment Hidden Beauty, Naked Beauty ou Pollen, quel que soit le titre qui lui sera attribué, n’a pas de date de sortie en France. Il se pourrait qu’il ne sorte pas avant de très longs mois. On en reparlera…

vendredi 22 octobre 2010

Parler de l'Iran, dans un café, avec un cinéaste

Mardi 19 octobre 2010. L’Apparemment Café, dans le 3ème arrondissement parisien. Le lendemain, le documentaire Bassidji, premier long-métrage de l’architecte de formation devenu cinéaste Mehran Tamadon, sort dans les salles. Mais pour l’heure, le réalisateur consacre un peu de son temps à rencontrer trois bloggers (eh oui, j’en faisais partie) pour discuter de son film. L’ambiance est chaleureuse, et pendant 1h30 Tamadon va nous révéler les dessous de son film, que j’avais vu deux semaines plus tôt.

Les premiers dialogues sont standards, classique si l’on peut dire, « Combien de temps a duré le tournage ? – 19 mois », « En combien de voyages en Iran ? – Six voyages». Mais Bassidji n’est pas un film qui amène en nombre ce type de questions. Bassidji est une immersion au sein du système de la République Islamique d’Iran, un portrait de ces hommes et femmes exerçant au niveau local le pouvoir de la haute autorité religieuse Iranienne. Les bassidjis, des gardiens de la morale. Alors forcément, la rencontre avec Mehran Tamadon penche assez vite sur le fond du film. De son rapport à lui, Iranien élevé en France et vivant « à l’occidentale », avec ces hommes religieux, fondamentalistes, défendant un Islam ultra conservateur. « Ce sont des gens qui voient que je suis attaché à l’Iran, à mon pays ».

Le dialogue qui se noue devient souvent passionnant, à l’image du film de Tamadon, qui a vécu de l’intérieur, pour les besoins de son projet au cœur du fondamentalisme iranien, un monde et ses acteurs que l’on connait très peu ici. La nationalité iranienne du réalisateur « a été un avantage ». Au-delà bien sûr de la facilité de la langue, c’est surtout une compréhension de la culture, malgré les points de vue divergents, un savoir « des limites à ne pas franchir » qu’un étranger aurait sûrement eu plus de mal à maîtriser.

Mais au-delà des dessous de la confrontation d’idéaux et de points de vue sur le monde, la rencontre avec Tamadon éclaire aussi, surtout, sur la relation du cinéaste avec les héros de son film. La question de l’amitié qui le lie à Nader Malek-Kandi, une amitié qui peut surprendre lorsque l’on se rend compte que les deux hommes ont des points de vue si différents sur le monde. Alors cette amitié, sur quoi repose-t-elle ? « Il y a beaucoup de blagues, on rit. En Iran, c’est une culture où la langue est très présente, mais cela reste une culture où l’on peut uniquement communiquer par notre présence. C’est peut-être difficile à comprendre car la France est un pays de discours, d’échanges ». Nader a-t-il vu le film ? « Oui, mais il a été déçu qu’il ne défende pas sa philosophie ».

Une déception qui probablement nous rassure. Car cette déception signifie que Mehran Tamadon a réussi son travail de cinéaste. « L’objectif avec ce film n’était pas le même au début et à la fin. J’ai évolué avec le temps. La démarche anthropologique a laissé la place à autre chose. A un moment il faut intervenir, pour éviter la propagande. Il a fallu rentrer dans le cadre, par peur que le film m’échappe, que je ne trouve pas la juste distance ».

Dans ce bar parisien, la rencontre est cordiale, les échanges se succèdent, la soirée avance, et les confidences, à demi-mots, se font assez révélatrices, et touchantes. « Je me rends compte que depuis dix ans je fais le même film. J’aimerais bien que ça s’arrête, que j’aie des idées différentes. Mais je n’y arrive pas. Je suis obsédé par ça. C’est vraiment obsessionnel. La politique, le pouvoir, l’Iran… J’aimerais bien penser à autre chose, être préoccupé par autre chose, mais je n’y arrive pas… ».

Ses pensées semblent en effet plus tournées vers ces obsessions que vers la sortie du film le lendemain. La sortie est confidentielle à l’échelle nationale, trois copies en France (dont une à Paris au Saint-André des Arts), mais elle promet d’être ardemment soutenue par Mehran Tamadon et son distributeur Aloest. Les copies vont circuler au fil des semaines, avec son fidèle réalisateur présent pour accompagner son film, rencontrer le public et répondre à ses questions à travers la France. Une chance pour tous ceux qui auront la démarche curieuse et intelligente de s’intéresser au documentaire Bassidji. Une porte ouverte vers un Iran que l’on n’a pas l’habitude de voir ainsi.

mardi 19 octobre 2010

David Fincher n'a pas fait qu'un film sur Facebook

En gravissant l’escalator de l’UGC Normandie menant vers sa magnifique salle principale, je me suis pris à me demander depuis combien de temps je ne m’étais pas ainsi élevé vers l’une des plus belles salles que compte la scène cinéphile parisienne. A une époque, c’était certainement ma salle préférée, celle dans laquelle je tenais à voir tous les « grands films », au début de la décennie passée. Ses grands rideaux bleus, ses larges fauteuils (près de 900), son grand écran. La prestigieuse salle du Normandie dégage quelque chose d’assez rare parmi les cinémas de la capitale, vestige des immenses salles presque toutes disparues excepté Le Grand Rex et le Max Linder Panorama. Quand donc m’étais-je rendu au Normandie pour la dernière fois ? Il faudrait que je fouille parmi mes tickets, si seulement ceux-ci offraient un semblant d’ordre… Toujours est-il que le public des Champs-Élysées a eu raison, au fil des ans, de mon admiration pour la belle salle, ses ados trop bruyants, ses touristes trop bavards, ses popcorns trop nombreux.

Pourtant l’occasion s’est présentée de retourner dans la salle 1 de l’UGC Normandie, samedi soir, à 22h, pour le film incontournable du moment. The Social Network. Le film qui rend tout le monde curieux, celui qui raconte l’histoire plus ou moins vraie de la création de cet outil omniprésent et omniscient de la société qu’est Facebook. Un film qui rend curieux avant d’être vu, et plutôt admiratif une fois vu. Retirez le « plutôt ». Avant d’être un film sur la création de Facebook, The Social Network est le nouveau film réalisé par David Fincher (à peine plus d’un an après L’étrange histoire de Benjamin Button), d’après un scénario de Aaron Sorkin (créateur de la série « A la Maison Blanche »). Au-delà d’un film sur la création de Facebook, The Social Network est un portrait aussi bluffant que fascinant de la génération 2.0.

Si le cadre offert par les atermoiements et conflits de l’entreprise Facebook se prêtent si bien à un long-métrage, Sorkin et Fincher en font quelque chose de bien plus vaste qu’un film sur Facebook. Ils racontent les balbutiements d’une société en marche, une société de l’instant, une société où la reconnaissance globale est le but ultime. Fincher raconte que s’il a poussé ses acteurs à adopter un débit de paroles aussi intense, c’était pour faire tenir en deux heures le scénario dense de Sorkin, lui garantissant le final cut du film. Cette vitesse sert le film, le rythme effréné de ses dialogues constituant un élément clé du monde et de la génération qu’il dépeint. Du garçon qu’il dépeint. Mark Zuckerberg, sur le toit du monde et les bourses débordant de milliards de dollars avant d’avoir atteint 25 ans. Les mots se propagent vitesse grand V, à l’image de la renommée et de l’argent.

Que The Social Network ne décrive pas forcément les personnages qu’il prend pour anti-héros dans toute leur véracité n’empêche pas le film de trouver son équilibre. Point de récit linéaire, propre et fidèle ici. Sorkin et Fincher voient plus grand, plus loin. Leur film zigzague avec cohérence et extrapole pour mieux nourrir ses personnages et sa dramaturgie. Finalement, il importe peu que Mark Zuckerberg et Eduardo Saverin, les deux co-fondateurs de Facebook et personnages centraux du film, soient fidèlement dépeints ou non. The Social Network en fait des personnages foisonnants et fascinants. Ils sont les rouages d’un ensemble qui dépasse l’entendement, où quelques formules informatiques et quelques coups stratégiques qui peuvent paraître anodins génèrent des intérêts humains qui se comptabilisent en dizaines, centaines de millions de dollars.

The Social Network tisse la toile d’une saga humaine, économique et sociétale aux accents épiques (la musique composée par Trent Raznor est stupéfiante), servis en cela par un duo de jeunes comédiens ébouriffants. Andrew Garfield, le point d’ancrage de sympathie, et surtout Jesse Eisenberg, qui se glisse sous la peau de Mark Zuckerberg et en fait un personnage absolument déterminant de l’année cinématographique, lui imprimant à la fois l’errance d’un être pathétique, la force d’un génie en marche et la banalité d’un garçon contemporain. Une des grandes performances de l’année.

Oui, The Social Network est un film sur la création de Facebook et ses conflits. Mais c’est aussi tellement plus que cela.

dimanche 17 octobre 2010

L'amour a des atours dangereux

Décidément en ce moment, malgré quelques jours de vacances, je cours après les films avant qu’il ne soit difficile de les voir. Ce qui est bien lorsque l’on attrape un film alors que sa fin de parcours se ressent dans son exploitation, c’est que se profile ainsi l’occasion d’aller explorer des salles qui sortent de nos habitudes. En laissant filer les semaines avant que je n’aille enfin le voir, Amore s’est ainsi offert à moi dans un petit cinéma de quartier peu fréquenté de Paris, le Saint Lazare Pasquier. Le Saint Lazare Pasquier m’a longtemps été inconnu, jusqu’à l’été 2009 précisément lorsque j’y avais vu (alors que le film ne passait plus que là !) Une arnaque presque parfaite de Rian Johnson.

Moi qui aime découvrir de nouvelles salles, j’aurais été bien déçu qu’Amore soit projeté dans la même petite salle 3 dans laquelle j’avais déjà pénétré. Ouf de soulagement lorsque le caissier, dont la petite cahute donne directement dans le froid de la rue, m’annonçai que le film passait en salle 2. Une belle petite surprise que cette salle 2, à la hauteur du caractère joliment désuet (au sens charmant et non péjoratif du terme) du cinéma. Certes une travée centrale la déchire malheureusement (très récemment encore je faisais part de l’aberration de ces travées centrales), mais c’est bien le seul point négatif que je peux trouver à cette salle de belle taille (il doit bien y avoir 120 ou 130 places), profonde, avec certes des sièges un peu bas à la Gaumont mais sommes toutes confortables. En outre, de beaux lustres ornent le plafond, à l’ancienne, ainsi qu’un rideau qui (dommage) était déjà ouvert avant le début du film.

Une belle salle rétro et confortable en plein cœur de Paris, quoi de mieux pour voir ce drôle de film qu’est Amore ? Au lieu de drôle, je pourrais dire étrange. Non, le film n’est ni comique ni surnaturel. C’est… comment le décrire… une saga familiale, ou un drame bourgeois. Les étiquettes sont ennuyeuses. Le film de Luca Guadagnino s’intéresse à une riche famille milanaise, les Recchi, membres de la haute bourgeoisie italienne depuis quelques générations maintenant. Le film s’ouvre sur une longue soirée d’anniversaire, celle du grand-père, le patriarche de la famille, créateur de sa fortune grâce à son entreprise familiale devenue au fil des ans acteur global de son secteur (le tissu). Il y a là sa femme (campée par Marisa Berenson), son fils et sa belle-fille, gardiens de l’immense demeure, les petits enfants qui sont de jeunes adultes. Et bien sûr le personnel, dont Ida qui fait presque partie intégrante de la famille. C’est le destin de tous ces personnages qui va se dérouler sous nos yeux quelques mois plus tard, après le décès du grand-père et le changement de rapports de forces au sein de la famille.

L’un des petits-fils prend des responsabilités au sein de l’entreprise, la petite-fille sort du placard, la grand-mère joue sa diva. Et il y a la mère magnifiquement incarnée par l’écossaise Tilda Swinton. D’origine russe, elle tient à merveille son rôle de bourgeoise jusqu’à ce qu’elle s’amourache d’un ami de son fils (l’actrice maîtrise bien la langue de Nanni Moretti)… Il y a bien là tous les éléments d’une grande tragédie familiale… et pourtant Amore offre un visage surprenant. Guadagnino choisit une approche inattendue, inventive et forte dans sa mise en scène, pour nous sortir de la zone de confort du genre qu’il aborde. Sous des abords de classicisme prestigieux qui renvoie parfois aux glorieuses heures du cinéma italien, le réalisateur transalpin donne des contours dangereux à son récit. Il plaque une sensation constante de suspense, une atmosphère indéfinissable dont le pouls bat à cent à l’heure. Guadagnino filme son drame familial comme s’il s’agissait d’un thriller. Le soin qu’il apporte aux détails, sa caméra insistant sur des gestes qui paraitraient futiles sous l’œil d’un autre cinéaste, impriment un sentiment de malaise constant. La sensation haletante qu’à chaque instant, quelque chose peut se passer et changer le cours du film. C’est une menace sourde, pesante, presque inquiétante.

Pourtant les atours sont ceux du luxe, du calme et de la volupté. La minutie est de mise, densifiant incroyablement l’intrigue, les personnages, les enjeux. On attend l’explosion. Elle ne déçoit pas, à l’image du film, un signe que le cinéma italien peut être à la fois classieux et vivifiant.



jeudi 14 octobre 2010

Les salles de luxe vont-elles débarquer dans les cinémas ?

Depuis quelques semaines, il est de plus en plus question de salles de cinéma de luxe faisant leur apparition en France. Par salle de luxe, entendez une salle au confort optimal où l’expérience cinématographique est décuplée. Du moins c’est ainsi qu’on peut légitimement l’imaginer, si en effet tout est mis en place pour que l’on ait du mal à fréquenter des salles lambdas après. Si pour le moment la plupart de ces salles ont vocation à être des salles privées ou à louer, il en est déjà une dans le circuit régulier qui se fait appeler salle de luxe.

Cette salle se situe au Balzac, ce cinéma art et essai des Champs-Élysées (ne chipotez pas, je sais que c’est une rue perpendiculaire) à la programmation éminemment cinéphile. J’ai découvert par hasard que le Balzac avait réaménagé une de ses trois salles (la plus petite) pour optimiser son confort. Je m’y rendis en août dernier pour aller enfin découvrir City of life and death que j’avais un peu tardé à attraper. C’était un peu la dernière chance (ça m’arrive régulièrement), et j’en ai profité pour aller au Balzac, où je n’avais pas posé mes fesses depuis des mois.

La petite salle de luxe du Balzac mérite-t-elle donc cette appellation ? Je dois bien avouer que le cinémaniaque que je suis se pose la question. Car à l’évidence les critères de confort ne sont pas les mêmes d’un spectateur à un autre. Celui des responsables du Balzac semble porter presque uniquement sur un point : les sièges. Et de ce côté-là, il n’y a rien à redire aux qualités de la salle du Balzac. La qualité des sièges est optimale. Rien à voir avec la plupart des autres salles parisiennes. Sur le coup, les sièges paraissent étranges, on s’installe dedans, ces grands sièges en cuir, et on se trouve avec le dos trop droit, trop en avant. Dès qu’on a compris l’astuce pourtant, le siège change complètement. La partie basse sur laquelle on est assis coulisse en avant, et du même coup incline le dossier pour mieux nous installer face à l’écran. Penser aux fauteuils de Chandler et Joey dans « Friends » pour vous donner une idée (le côté « fauteuils de salon » en moins bien sûr, mais on s’en rapproche).

La qualité des sièges est remarquable, rien à redire là-dessus. Pour ce qui est du reste, je m’étonne de plusieurs choses. La première est la travée centrale. Qu’en 2010, on choisisse de mettre une travée centrale, et non latérale, dans une salle de cinéma est une pure hérésie. Surtout lorsqu’elle est aussi large qu’au Balzac, et que du coup, quelle que soit la place que l’on choisit, on n’est pas au centre de l’écran. L’hérésie est d’autant plus grande que la salle est toute petite, et que la plupart des sièges ne sont donc pas face à l’écran mais sur ses côtés. Totalement absurde.

Le deuxième point extrêmement litigieux de cette « salle de luxe » tient à l’écran. Sa taille est ridicule. Un petit écran de rien du tout perché bien haut. Alors oui l’architecte de la salle a conçu un bel encadrement pour l’écran, mais lorsque les lumières s’éteignent et que l’on se plonge dans le film, on se soucie plus de la taille de l’écran que de ce qui l’entoure (c’est sûr que dans le noir, le reste, on s’en fout un peu). Si le luxe passe dans les à-côtés de la projection du film en elle-même, qu’il ne prenne pas le pas sur ce qui est essentiel à une projection, s’il vous plait !

Honnêtement j’ai eu envie de quitter la salle lorsque j’y suis entré. La travée centrale bouffant les meilleures places, la taille riquiqui de l’écran, j’ai vraiment eu envie de fuir. Ce que je cherche au cinéma, ce n’est pas le confort de mon salon. Je ne veux pas avoir l’impression de regarder le film à la télévision chez moi. Je ne veux pas de ce confort. Ce que je veux moi, c’est du cinéma. Je veux pouvoir me placer en plein centre si cela me chante. Je veux avoir l’impression que je suis plongé dans le film avec ses protagonistes, en plein cœur d’un écran qui serait mon unique champ de vision deux heures durant.

Je suis pour une belle salle luxueuse, mais pas une salle où la proportion de l’écran est sans importance, ni le positionnement des sièges par rapport au film. Il y a mieux à faire en guise de salle de luxe. Ne vaut-il mieux pas prendre exemple sur quelques salles de projection privées parisiennes accueillant notamment les projections de presse, qui, elles, offrent un confort indéniable (aaaaah, la salle Warner…), même celles affichant un petit côté vintage charmant (comme le club Publicis) ?
Réfléchissez bien messieurs les exploitants à ce qui doit définir le confort d’une salle avant de vous lancer dans de grands travaux…

mercredi 13 octobre 2010

A la recherche de Tony Curtis...

Tony Curtis est mort. A moins que vous ne vous intéressiez pas du tout au cinéma ou que vous rentriez d’un voyage au milieu des steppes mongoles ou des montagnes d’Alaska, ce n’est pas une nouvelle. L’acteur américain est décédé à 85 ans le 29 septembre dernier, et quand une légende du cinéma s’éteint, c’est toujours quelque chose qui s’éteint en nous en même temps qu’elle. Des souvenirs remontent à la surface, des souvenirs de spectateur auxquels on associe des moments de vie. Oh là, du calme je vais verser dans le sentimentalisme.

Quand un acteur du calibre de Tony Curtis meurt, ce qu’il se passe aussi, c’est que je jette un œil à sa filmographie pour me remémorer ses grands rôles. Et là, en me rendant sur IMDb pour parcourir la longue carrière du monsieur, je me rends compte avec étonnement et honte que je n’ai presque rien vu de ses films. Sérieusement. Bien sûr je me doutais que je l’avais plus souvent vu dans une certaine série télévisée éphémère mais tellement culte et multi diffusée en France que Tony Curtis y était à jamais associé. Mais Danny Wilde et le duo qu’il formait avec Roger « Brett Sinclair » Moore dans Amicalement vôtre a beau être emblématique, j’étais persuadé d’avoir vu Curtis dans une bonne dizaine de films… qui se sont révélés être seulement cinq après la fameuse lecture de sa filmo. Bien sûr il s’agit là des films que je me souviens parfaitement avoir vus, il doit bien en avoir un ou deux autres qui ne se sont pas accrochés férocement à ma mémoire, mais tout de même, le résultat est maigre.

Par ordre chronologique de réalisation, ces cinq films sont Winchester 73 d’Anthony Mann (1950), western avec James Stewart dans lequel Curtis était tout jeune et tenait un petit rôle ; Certains l’aiment chaud de Billy Wilder (1959), son film le plus célèbre et sa performance la plus débridée ; Opération Jupons de Blake Edwards (1959), dans lequel il partageait la vedette avec Cary Grant ; Spartacus de Stanley Kubrick (1960), dans lequel il jouait à merveille le sous-texte homo-érotique avec Laurence Olivier, et enfin La grande course autour du monde, un autre Blake Edwards (1965) dans lequel il retrouvait son partenaire de Certains l’aiment chaud pour une course poursuite digne des Fous du volant.

Voilà ce que m’a révélé la mort de Tony Curtis. Que sa carrière m’était finalement assez peu connue. Néanmoins le décès d’un grand nom du cinéma a toujours une conséquence positive pour les amateurs de salles obscures : les cinémas leur rendent hommage – au moins les cinémas spécialisés du Quartier Latin parisien. C’est ainsi que mardi soir je me suis attelé à rattraper mes lacunes en allant voir sur grand écran L’étrangleur de Boston de Richard Fleischer au Grand Action. Est-ce une coïncidence ou ont-ils profité de la triste nouvelle ?, toujours est-il que le cinéma de la capitale organisait cette semaine une rétrospective Richard Fleischer, qui a également réalisé Les Vikings dans lequel joue Curtis.

Enfin, après avoir failli manquer mon rendez-vous avec Curtis en me trompant de cinéma (j’ai noté tellement de films à voir ces temps-ci que je m’étais mélangé les pinceaux en me pointant au Reflet Médicis, persuadé que c’était là que le film de Fleischer se jouait. Heureusement que j’avais dix minutes d’avance, j’ai eu le temps de descendre toute la rue des Écoles pour me faufiler à temps au Grand Action… Je m’éparpille), j’ai vu mon sixième film.

L’étrangleur de Boston. Quelque chose frappe à la vision du film pour qui ne le sait pas. Le visage de Curtis s’étale sur l’affiche, son nom apparaît en premier à l’écran… pourtant l’acteur est invisible pendant la première heure du film. Même Henry Fonda se fait attendre en n’a apparaissant qu’après une vingtaine de minutes. La seule tête d’affiche à apparaître dès le début du film est ce bon vieux George Kennedy (pas vieux à l’époque et tout juste oscarisé pour Luke la main froide), incarnant un flic de Boston enquêtant sur une série de meurtres perpétrés sur des vieilles dames dans la région. Très vite, celui qui les commet est surnommé « L’étrangleur de Boston », et un procureur incarné par Fonda est chargé de coordonner les polices des différents districts.

L’enquête piétine, et tant que la justice voit les meurtres s’enchaîner sans parvenir à appréhender leur auteur, le fameux étrangleur reste dans l’ombre. Son visage n’apparaît donc qu’au bout d’une heure de film sous les traits de Tony Curtis. Forcément lorsque l’on vient à un film projeté en hommage à Tony Curtis et que celui-ci n’apparaît pas à mesure que le film se dévoile, l’attente se fait grandissante, et l’apparition devient du même coup un véritable jeu de mise en scène. Tony Curtis est mort, et me voilà à trépigner d’impatience pendant une heure pour qu’il surgisse enfin à l’écran. Puis contre toute attente, la caméra de Fleischer se glisse dans un modeste appartement, elle avance doucement dans le salon vers la forme d’un homme tenant dans ses bras son enfant. Il regarde la télévision, à travers laquelle se fait entendre la cérémonie d’enterrement de John Fitzgerald Kennedy, le 25 novembre 1963. On ne reconnaît pas tout de suite Curtis dont la position le place un peu dans l’ombre. La caméra continue à glisser vers lui, jusqu’ à ce qu’enfin le doute ne soit plus permis. Il est là. L’air choqué, triste devant les images du cérémonial pour JFK. La caméra continue à chercher le mouvement pour décrire cette scène de la vie ordinaire d’un homme que l’on devine, que l’on sent être ce fameux étrangleur après lequel la police court depuis une heure.

Je me souviens avoir vu Le Troisième Homme de Carol Reed en guettant à chaque scène l’arrivée d’Orson Welles. Celle-ci se faisait également attendre, car comme l’étrangleur il s’agissait d’un personnage dont on parlait depuis le début du film sans le voir. Puis Welles et son personnage d’Harry Lime aimantait soudain la caméra dans une apparition qui reste l’une des plus théâtralisées et jouissives de l’histoire du cinéma. L’apparition de Curtis dans L’étrangleur de Boston est certes plus sobre mais tout aussi forte. Peut-être parce que Tony Curtis est mort il y a deux semaines et que je venais autant pour lui que pour le film.

Une fois que Tony Curtis et son étrangleur prennent place à l’écran, c’est presque un second film qui commence qui tient plus du drame psychologique, dans lequel la personnalité de l’étrangleur se révèle complexe, double, et permet à Tony Curtis de livrer une interprétation remarquable accaparant l’attention et cassant l’image de séducteur qui était la sienne à l’époque. Il est sûrement quelque peu regrettable que L’étrangleur de Boston ne soit pas plus homogène dans l’évolution de son intrigue, se scindant ainsi en deux, mais le film de Richard Fleischer s’avère tout de même un véritable film de son époque, examinant l’incompréhension face à la violence et ses causes dans une Amérique encore orpheline de Kennedy et en pleine Guerre du Vietnam. Sorti la même année que L’affaire Thomas Crown, il est amusant de constater que L’étrangleur de Boston fait lui aussi une audacieuse et abondante utilisation du split screen. Le film de Fleischer est globalement plutôt ingénieux dans le montage, le film se permettant également vers la fin des enchaînements présent / flashbacks très malins.

Tony Curtis est mort. Ce n’est plus une nouvelle, mais une belle occasion de partir à la découverte de sa filmographie. Pour continuer à faire vivre cette Josephine qui s’en est allée danser avec Daphné et Sugar.

mardi 12 octobre 2010

20th Century Fox se fout de nous !

Pffffffffffffffff… Les mots me manquent… seuls quelques jurons me viennent en tête… Il y a quelques semaines à peine, je me désolais sur ce blog de la sortie en salles de Gentlemen Broncos qui était massacrée par son propre distributeur, 20th Century Fox France. La sortie technique était exclusivement en version française, sans laisser la possibilité aux exploitants de projeter le long-métrage dans sa version originale sous-titrée en français.

La présence en soi d’une sortie technique n’a rien de nouveau ni de totalement anormal, tant il paraît évident que tous les films ne peuvent pas sortir à grande échelle et tous n’ont pas vocation à trouver leur public en masse auprès des spectateurs (français). Mais le charme d’une sortie technique, c’est de tout de même permettre à ceux qui hantent les cinémas comme j’aime à le faire de pouvoir découvrir en salles des comédies américaines (car il s’agit bien neuf fois sur dix de cela) appelés à vite disparaître.

Or comme je l’ai déjà mentionné, les spectateurs intéressés par ces films sortant en catimini ont plutôt tendance à être des puristes ne jurant que par la VO, et il faut bien avouer que le genre même, la comédie américaine, se prête en général particulièrement mal à la VF. Or c’est bien en VF que Gentlemen Broncos avait déboulé au Publicis à la fin de l’été, un choix du distributeur 20th Century Fox… et devinez quoi ? La branche française de la Fox a remis ça cette semaine avec La machine à démonter le temps. Sortie technique dans une dizaine de salles en France, et pas une copie en VO, pas même pour l’éternel Publicis, qui programme donc une fois de plus le film dans la version fournie par le distributeur.

Merde. Merde, merde, merde. Une comédie sur une bande de potes qui remontent dans les années 80, à leur époque ado, grâce à un jacuzzi permettant de voyager dans le temps, avec John Cusack, Rob Corddry, Craig Robinson et Clark Duke, non, non et non, ça ne se voit pas en VF ! Me voilà donc à boycotter pour la seconde fois en même pas deux mois une comédie pour laquelle je comptais presque les jours avant la sortie en salles. Tout cela grâce à un même distributeur. 20th Century Fox serait donc le distributeur le plus irrespectueux et haïssable que l’on compte en France ? En tout cas la filiale française du studio hollywoodien ne fait rien pour s’attirer les faveurs des amateurs de comédie américaine, ou de cinéma en général. Et comme elle ne fait aucun effort pour s’attirer notre respect, il n’y a aucune raison de le lui accorder.
Pour reprendre les mots du respectable Ron Burgundy, Go f**k yourself 20th Century Fox !

(p.s. : dans quelques semaines à peine la Fox va distribuer en France Journal d’un dégonflé, une comédie ayant l’air fort sympathique… oserais-je supposer le type de sortie auquel nous allons avoir droit… ?)

dimanche 10 octobre 2010

Réveiller la Belle au Bois Dormant, et raconter l'histoire de Disney...


Il était une fois. C’est la formule consacrée pour les contes, pourtant ce que je m’apprête à écrire n’a rien d’un conte. Mais c’est l’histoire de conteurs hors pair. Une histoire pas comme les autres qui est tout ce qu’il y a de plus vraie. C’est un documentaire. Un documentaire qui raconte l’histoire de Disney. Plus exactement du département animation des Studios Disney entre le début des années 80 et le milieu des années 90 (je sais c’est précis). Ce documentaire se nomme Waking Sleeping Beauty. Son histoire, c’est l’histoire de celles et ceux qui m’ont fait rêver quand j’étais enfant.

Ce documentaire, qui est en ce moment projeté en exclusivité au mk2 Hautefeuille à Paris avant de sortir dans le reste de la France dans quelques semaines, semble avoir été créé pour les grands enfants de ma génération. Ceux qui ont découvert le cinéma avec les films d’animation produits par les Studios Disney dans les années 80. J’avais hâte de voir ce documentaire, car sa bande-annonce même me laissait deviner que ce film s’adressait à moi aujourd’hui tout comme les films de Disney s’adressaient à moi il y a 20 ans. Waking Sleeping Beauty a été réalisé par Don Hahn, un des nombreux noms de l’ombre de l’univers Disney, un homme qui a travaillé comme assistant réalisateur sur Rox et Rouky, sorti l’année de ma naissance, puis a participé à la production, notamment, de La Belle et la Bête et Le Roi Lion. Hahn est un homme du sérail, mais il ne s’agit pas là de passer la brosse à reluire sur l’entreprise Disney (bon, un peu quand même).

Waking Sleeping Beauty raconte comment, entre 1984 et 1994, le département d’animation des Studios Disney a connu une décennie perturbée et créative, pleine de folies et de remous, pour ressortir la tête de l’eau après une période de vache maigre, pour atteindre un succès jamais atteint jusqu’ici, et jamais reproduit ensuite par ce même studio. Waking Sleeping Beauty est donc raconté par les acteurs même de cette décennie légendaire, des petites mains aux pontes du studio, des réalisateurs aux producteurs, sans langue de bois. Les coups de gueule, les alliances, les conflits, les joies, les peines. Dans les coulisses, c’était digne de The Player de Robert Altman.

Le titre du documentaire fait référence à un désir, au début des années 80, de dépoussiérer le département animation des studios qui allaient à l’époque d’échec en échec et réveiller sa splendeur d’antan. Depuis le décès de Walt, le studio avait perdu de sa superbe, et le conseil d’administration était enclin à abandonner la production de longs-métrages d’animation. Un trio de dernier recours fut nommé sous l’insistance de Roy Disney, neveu de Walt, pour tenter de redorer le blason Disney. Frank Wells, Michael Eisner et Jeffrey Katzenberg arrivèrent au début des années 80.

Waking Sleeping Beauty montre bien que ce n’est pas grâce à ce seul trio que les studios Disney connurent cette décennie florissante, mais qu’ils y contribuèrent certainement. C’est sous leur houlette que naquirent La petite sirène, La Belle et la Bête, Aladdin et Le Roi Lion. C’est dans les coulisses de ces longs-métrages, et de ceux de Taram et le Chaudron Magique, de Basile détective privé, de Oliver et Compagnie que le documentaire de Don Hahn nous plonge. Une plongée qui pour moi, dont l’un des tous premiers souvenirs de cinéma est d’avoir été emmené par mes parents voir Oliver et Compagnie au Grand Rex pour Noël 1988, a eut l’effet d’une véritable madeleine de Proust.

J’ai été enfant exactement à cette époque-là. J’ai trépigné d’impatience chaque année, chaque Noël, avant d’aller découvrir le nouveau Disney. Voir la confection de mes souvenirs d’enfance sur grand écran fut un moment de joie infantile intense, doublé de la fascination cinéphile pour les luttes de pouvoir au sein du studio que nous montre le film avec uniquement des images d’archives, reportages télés, films amateurs des employés de Disney, extraits de films à plusieurs stages de développement et interviews d’époque (pour ce qui est des entretiens récents, on ne fait que les entendre en voix off par-dessus les images d’époque).

La jubilation se mêle souvent à l’émotion de cette époque devant les premiers essais musicaux de La petite sirène ou La belle et la bête, et le décès du compositeur qui a donné toute leur identité à ces films. Et cette ambiance. Cette atmosphère que l’on découvre à travers les « films de famille » tournés par les employés, dans les locaux, en pleines sessions de travail ou en mode détente. Ces ambiances de boulot qui ne ressemblent pas à des boulots. Une façon de concevoir le travail qui aurait fait rêver le gamin que j’étais et qui rend jaloux l’adulte que je suis devenu. J’aurais voulu en être. Voilà ce qu’on se dit en voyant cela. Même s’il avait fallu supporter Jeffrey Katzenberg, même s’il avait fallu entendre à longueur de journée la voix de fausset de Peter Schneider, même s’il avait fallu qu’un jour, tout cela s’arrête.

Pixar n’est pas le seul responsable du déclin de Disney sur le plan de l’animation. A la découverte de Waking Sleeping Beauty, on comprend beaucoup de choses. Que pendant dix ans, une équipe s’est démenée jour et nuit pour produire chaque année un grand film. Que la pression était énorme. Que l’harmonie si fragile au sein de Disney reposait sur la modération de Frank Wells dans le conflit entre Michael Eisner, Jeffrey Katzenberg et Roy Disney. Wells disparu, il ne restait plus que les trois autres pour se tirer dessus, une lutte d’égos cumulée à la fatigue générale des employés…

L’année dernière, après plusieurs années de gel, la production a repris dans le département d’animation (traditionnelle) des studios Disney avec La princesse et la grenouille. A la production, John Lasseter, à la réalisation, Ron Clements et John Musker, que l’on découvre, comme beaucoup d’autres dans Waking Sleeping Beauty, parmi les animateurs qui ont œuvré au redressement de Disney entre 84 et 94. Pour Le Roi Lion en 1994, je me rendis pour la dernière fois voir le Disney annuel au Grand Rex avec la féérie des eaux. J’en ai vu plusieurs après cela, mais plus jamais à ce rendez-vous traditionnel familial qu’était Le Grand Rex. Le Roi Lion fut le plus grand succès de Disney, et celui à la suite duquel le déclin commença. Là où Waking Sleeping Beauty s’arrête.
Il était une fois une décennie au sein de Walt Disney Studios. Il était une fois mon enfance. Notre enfance.

jeudi 7 octobre 2010

Bassidji, j'irai dormir chez les fondamentalistes iraniens

Quelques bonnes blagues, des sourires bien placés, ouverts au débat, non vraiment, ils ont l’air sympa les fondamentalistes. Mehran Tamadon, né en Iran mais élevé en Europe après que sa famille ait quitté le pays lorsqu’il était enfant, a pris une caméra et est parti à la rencontre des bassidji, des représentants de l’ordre moral, militaire et religieux de la République Islamique d’Iran. Afin de nouer le dialogue et comprendre qui sont ces hommes qui, vus de l’Occident qui l’a élevé, transmettent une vision du monde bien différente de la sienne. Cette immersion débarque dans les salles le 20 octobre, Bassidji.

L’Iran est loin d’être mon domaine d’expertise, mais depuis quelque temps le cinéma iranien se fait de plus en plus présent dans les films que je vois. A une époque, j’aurais sûrement été incapable de citer des films iraniens qui ne soient pas réalisés par Abbas Kiarostami ou un membre de la famille Makhmalbaf, or ces douze derniers mois, l’émergence d’un cinéma iranien jeune et vif a trouvé sa place dans les salles françaises. Des films, comme A propos d’Elly, Les chats persans ou Téhéran, qui sous couvert d’un style plus populaire que ce à quoi nous a habitué le cinéma iranien, parlent avec audace et courage de leur pays, plus particulièrement des maux de leur société.

Le documentaire Bassidji a été tourné il y a près de trois ans, avant qu’Ahmadinejad ne soit réélu avec la controverse que l’on connaît, et il fait un intéressant contrepoids avec les fictions précédemment citées. Mehran Tamadon, le réalisateur, se penche du côté des oppresseurs plutôt que de celui des victimes du pouvoir. Non pour en faire l’apologie (heureusement ?), mais plutôt pour prendre le pouls de ces hommes qui soutiennent bec et ongle le système iranien qui place l’autorité religieuse au-dessus de tout, et sont prêts à justifier toutes les dérives sociétales d’un pouvoir à la main dure.

Tamadon commence par nous embarquer à la frontière séparant Iran et Irak dans un véritable musée à ciel ouvert de la guerre ayant déchiré les deux pays dans les années 80. Cette visite de ce qui s’avère être un véritable point de pèlerinage, donne lieu à des séquences plutôt hallucinantes pour un spectateur occidental athée. Où l’on vient pleurer à chaudes larmes devant les récits de cette guerre depuis plus de vingt ans éteinte. Des scènes de communion religieuse où l’on découvre la présence vive et idolâtrée des martyrs dans la société moderne iranienne, du moins au cœur des défenseurs du système religieux du pays.

C’est là justement tout le contrepoids fascinant, d’aucun diraient inquiétants, avec la facette de l’Iran que l’on découvre dans les films comme Les chats persans ou A propos d'Elly. Ce sont véritablement deux mondes différents coexistant dans un même pays. Celui de l’ouverture au monde, du désir de sortir du carcan religieux qui maintient un peuple non consentant dans un état social dicté par des lois morales d’autres siècles. Et le monde des bassidji décrits par Mehran Tamadon, ceux qui justement font perdurer cet état d’esprit difficile à accepter pour un esprit occidental moderne, mais également pour tout un pan de la population iranienne, cette vision des relations homme/femme, cette place de la foi et de la religion dans la vie quotidienne. Ce culte voué à l’ordre religieux qui dépasse les droits des individus et régissent la vie de chacun qu’il le veuille ou non.

Le documentaire a en outre cela d’intéressant que son réalisateur est un iranien à la culture européenne, qui arrive à se faire accepter des bassidji de par ses origines nationales et son désir sincère de découvrir de plus près cette vision du monde qui aurait pu être la sienne. Le statut de Tamadon lui confère une proximité avec son sujet qui lui ouvre des portes et lui permet de poser des questions et de voir des choses qu’un non-iranien n’aurait sûrement pas eu l’occasion d’apporter.

Bien sûr, les deux parties ne peuvent se convaincre. Tamadon et ses interlocuteurs sont voués à ne pas s’entendre, comme le prouve la séquence où le réalisateur réunit ses principaux interlocuteurs autour d’une table et leur fait écouter des questions posées anonymement par des iraniens mettant en doutes l’idéal moral, politique, religieux défendu par la République Islamique d’Iran d’Ahmadinejad. C’est lors de cette séquence plus que d'aucune autre que le discours des bassidji se fait conservateur et… refroidissant. Derrière les sourires et la bonhomie qu’ils avaient pu montrer jusqu’ici, apportant même une étonnante touche d’humour au film (même si l’on rit jaune plus qu’autre chose), la radicalité se fait jour derrière la diplomatie d’une rencontre devant une caméra. Tamadon en a sûrement eu des sueurs froides en tournant cette séquence, comme d’autres. Et en est certainement revenu plus convaincu que jamais que le fossé entre les fondamentalistes iraniens et le monde extérieur, qu'il soit musulman, chrétien ou autre, sera long, très long à combler.

mercredi 6 octobre 2010

Le réconfort d'un mur pour affronter l'Oncle Boonmee et ses vies antérieures

Il m’en aura fallu du temps. Je ne m’en cache pas, j’ai vraiment traîné la patte pour aller voir la Palme d’Or 2010. A vrai dire, j’ai même attendu le dernier moment, mardi 5 octobre 2010, plus d’un mois après sa sortie dans les salles françaises, et alors que les cinémas programmant le film ne se comptaient plus que sur les doigts d’une main dans la capitale. Mais bon, l’essentiel, c’est de l’avoir vu n’est-ce pas, ce fameux Oncle Boonmee, celui qui se souvient de ses vies antérieures ?

Pour un film qui m’aurait véritablement attiré, je m’en serais voulu d’avoir ainsi tant attendu qu’il ne me restait plus que la petite salle 6 du mk2 Beaubourg pour le voir. Mais j’avoue volontiers que si le nouveau film d’Apichatpong Weerasethakul n’avait pas été couronné sur la croisette en mai dernier, ma curiosité cinéphile ne se serait pas arrêtée dessus. Le cinéaste thaïlandais m’a trop fait souffrir par le passé (ne me lancez pas sur Tropical Malady et son tigre nocturne). Mais bon, le cru 2010 s’est vu décerné la Palme par Tim Burton et son jury, alors voilà, j’ai fait l’effort.

Le maniaque du placement en salle que je suis s’est laissé aller à accepter un siège tout excentré au deuxième rang, histoire d’être tranquille pendant le film. En plus cela me permettait d’être contre le mur, une place que j’adorais m’attribuer lorsque j’allais au ciné gamin. Cela a quelque chose de rassurant un mur, un élément contre lequel s’appuyer et qui ne laisse pas de place pour le doute. Mais aujourd’hui, à 28 ans, devant le nouveau film d’Apichatpong Weerasethakul, ce n’était pas la sécurité que je cherchais dans ce mur qui s’offrait à mon flan droit, mais quelque chose me servant d’appui en cas d’assoupissement. Eh oui, mon expérience avec le cinéma du thaïlandais m’a enseigné que je m’y ennuie rapidement. Et malgré tout le respect que je peux avoir pour tout ceux ayant crié au génie devant Oncle Boonmee, celui qui se souvient de ses vies antérieures, la Palme d’Or n’y a rien fait. L’ennui s’est emparé de moi et m’a entraîné profondément avec lui.

Ce n’est pas une question de lenteur, ou de contemplation. Ceux qui ne me connaissent pas pourraient croire que si je n’accroche pas aux films de Weerasethakul, c’est que je n’aime pas le cinéma contemplatif et méditatif. Ce n’est pourtant pas le cas. Je pourrais aimer un film de Weerasethakul. J’aurais pu aimer ce conte fantastique qu’est Oncle Boonmee…, ce récit de ce vieil homme au seuil de la mort qui voit apparaitre le fantôme de sa défunte épouse et une forme fantasmagorique de son fils disparu alors que lui-même sait que la maladie est sur le point de l’emporter. Mais non. Au lieu de palpitations affectives, ce ne sont que des tremblements de paupières qui m’ont agité.

Les hommes singes à yeux rouges, les expéditions en forêt, les souvenirs de vies antérieures, tout cela m’a vite lassé, tout autant que le soudain retour à une réalité plus urbaine qui surgit dans le dernier acte, se concluant sur un étrange morceau de musique contemporaine pour le moins désarçonnant dans le contexte global du film. J’aurais aimé acquiescer le choix de Burton et son jury, mais sans surprise, Lee Chang Dong et Xavier Beauvois, tout de même justement récompensés, auraient chacun fait une plus belle Palme à mes modestes yeux. La grande question maintenant est, irai-je voir le prochain film que réalisera Apichatpong Weerasethakul s’il ne remporte pas de Palme d’Or ? Hum…

mardi 5 octobre 2010

Notre jour viendra, vive les roux !

Qu’il est exaltant d’enchaîner les bons films. Vendredi soir, une comédie vraiment drôle, Trop loin pour toi. Samedi, un souffle de beauté venu du Québec. Lundi soir, j’avais prévu d’aller au ciné sur les Champs avec un ami. Pas préparés, nous avons arpenté les cinémas de l’avenue à la recherche d’un film qui nous intéressait tous deux et commençant dans les minutes qui suivaient. Rien. La loose totale. Finalement, avant de rentrer chez moi, j’ai fait un crochet par Les Halles, histoire de voir si l’un des films que je désirais voir avant mardi soir pour cause de « Attention il risque de ne plus être à l’affiche mercredi !!! » n’avait pas une séance sur le point de commencer. Bingo comme dirait l’autre. Je me suis engouffré dans une petite salle pour Notre jour viendra.

Le premier long-métrage de Romain Gavras est arrivé sur les écrans avec une bonne petite réputation sulfureuse, et trois semaines plus tard, il semble que le public français n’ait pas daigné s’y intéresser en masse. Le box-office confidentiel est digne d’un film d’Apichatpong Weerasethakul (et encore !). Compte tenu de la réputation sulfureuse, du buzz, de la présence en haut de l’affiche de Vincent Cassel… c’est aussi étonnant que décevant. Décevant oui, car Notre jour viendra, sa vision cinématographique forte et son regard parfaitement ancré dans son époque, mérite amplement d’être vu par le plus grand nombre.

L’histoire est étrange. Assez insaisissable au premier abord. On y suit Rémy, un souffre douleur qui se laisse moquer par tout le monde, parce qu’il est mou et roux, jusqu’à ce qu’il rencontre Patrick. Celui-ci, plus âgé et affirmé, à la barbe rousse, se prend d’affection pour Rémy et le prend sous son aile afin de faire naître la révolte en lui. Les deux hommes partent sur les routes du nord. Plus ils roulent, plus Rémy prend confiance en lui.

On ne sait trop comment prendre Notre jour viendra lorsqu’il se déroule sous nos yeux. Les élans comiques du film sont fulgurants et désarçonnent. Les personnages sont taillés dans le vif, le cadre posé rapidement. Gavras aime le mouvement, d’où la difficulté de bien appréhender le ton du film qui semble capable de partir dans toutes les directions. Mais lorsque l’errance cède la place à une direction forte, quelque chose prend forme. Le récit de ces deux lunatiques ressemble de plus en plus à la société qu’ils abhorrent. Une société empreinte de communautarisme qu’ils ne parviennent à affronter autrement que par cette même haine aveugle, démesurée et arbitraire qui les a poussés dans leurs retranchements.

Romain Gavras s’était forgé un nom dans la provocation via son travail de clippeur, notamment pour le groupe Justice. Sa provocation passait par l’observation de la société. En passant au long-métrage, le fils de Costa Gavras conserve cette même rage, cette même volonté de tirer sur les travers de la société, sans pour autant oublier de faire montre d’un talent de metteur en scène implacable. La séquence finale, envolée pleine d’incertitude, est à tomber.

Pas grand monde n’aura vu Notre jour viendra. Quelques cinéphiles et fans de Vincent Cassel. Dommage car on sort bien là des sentiers du cinéma mesuré.

dimanche 3 octobre 2010

J'ai aimé "Les amours imaginaires"

J’ai découvert que le premier film de Xavier Dolan, l’excellent J’ai tué ma mère, n’était pas un miracle. Ce n’était pas le coup de chance d’un gamin de 19 ans. C’aurait pu l’être si le gamin de 20 ans qu’il était un an plus tard n’avait pas écrit, réalisé, interprété et produit Les amours imaginaires (et encore, je n’ajoute pas qu’il s’est occupé des costumes et du montage).

J’ai aimé. C’est tellement simple et bête à écrire qu’on ne l’écrit que trop rarement. J’ai aimé Les amours imaginaires. J’ai aimé cette caméra glissant avec soin, lenteur, désir sur les corps de ses interprètes. J’ai aimé la lenteur oui. L’amour décrit au ralenti. Les sentiments naissant avec une douceur éclatante. J’ai aimé la pudeur des sentiments que l’on n’ose avouer, et qui ne s’expriment jamais mieux que par les silences et les gestes. J’ai aimé tout ce qui se dit sans parole. J’ai aimé la beauté triste de Xavier Dolan acteur et celle surannée de Monia Chokri. J’ai aimé l’amitié jalouse et pourtant fidèle.

J’ai aimé la verve de ces intermèdes irrésistibles sur les affres de l’amour, qui s’invitent régulièrement au cours du film, leur justesse de ton et l’acuité des sentiments décrits.
J’ai aimé Dalida –avais-je jamais aimé Dalida ? – faisant résonner inlassablement « Bang Bang » dans les rues et les appartements de Montréal. J’ai aimé voir Wong Kar Wai et Hou Hsiao Hsien dans le cinéaste qu’est Xavier Dolan, faisant d’un mouvement et d’un regard un cinéma qui nous rappelle le Hong Kong ou le Taïwan années 60 des cinéastes chinois, cette même élégance, cette même obsession du style qui traverse le film.
J’ai aimé l’amour et l’amitié vus par Dolan. La beauté et la tristesse. J’ai aimé l’amour impossible, l’amour non partagé. J’ai aimé.

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