mercredi 31 mars 2010

Coup de foudre à Bercy

A vous qui découvrez ce titre en pensant que je vais vous conter comment j’ai eu un coup de foudre amoureux au cours d’une séance, vous vous méprenez. Il s’agit de l’autre coup de foudre, non métaphorique, à prendre au pied de la lettre. Les projections perturbées le sont régulièrement de manière diverses et variées, mais alors que l’engueulade entre spectateurs, les problèmes de son, ou la bande de jeunes qui commentent le film en live sont presque monnaie courante, j’ai expérimenté lundi soir une perturbation inédite.

C’était à l’UGC Ciné Cité Bercy, devant le film Blanc comme neige de Christophe Blanc. Petit polar d’inspiration "Coenienne", le film est tout à fait mineur et n’est pas promis à une pérennité durable d’un point de vue artistique. Pourtant je me souviendrai longtemps de la projection. Celle-ci s’est déroulée normalement pendant plus d’une heure. Peut-être faudrait-il que je vous dise en quelques lignes de quoi il retourne dans le film de Christophe Blanc. François Cluzet y incarne un riche vendeur de voitures qui, suite au décès pas franc du collier de son associé, découvre que ce dernier magouillait avec des mafieux finlandais. Mafieux qui demandent désormais des comptes au personnage de Cluzet, qui va mobiliser ses frères, campés par les excellents Olivier Gourmet et Jonathan Zaccaï, pour se tirer de ce mauvais pas, sans que sa femme ne se doute de la délicatesse de la situation.

Je disais donc que pendant plus d’une heure, la projection de Blanc comme neige s’est déroulée sans accroc. Puis tout à coup, au cours d’une séquence assez tendue durant laquelle la femme, incarnée par Louise Bourgoin, découvre que les trois frangins détiennent un des mafieux, blessé et caché dans un chenil sombre, le temps s’est suspendu dans la salle. A l’écran, le mafieux souffle avec difficulté à Louise Bourgoin : « Allume… allume ! ». Et à cet instant précis, la lumière se rallume dans la salle, et l’écran devient blanc. Un moment de flottement traverse les rangées… que se passe-t-il… comment se fait-il qu’au moment exact où l’un des personnages murmure « Allume », la lumière se fait dans la salle ? Est-ce une blague ?

Évidemment non, au bout de quelques secondes, il paraît clair que quelque chose cloche… Un spectateur du fond de la salle sort (faut assumer de préférer se mettre dans les derniers rangs !)… puis revient quelques instants plus tard avec un employé du cinéma, qui fait l’annonce la plus inattendue qui soit : « Mesdames et messieurs, désolé de cette interruption due à l’orage, la foudre est tombée et a causé une coupure de courant, le film redémarrera dans quelques instants »… Pardon ?? La foudre a frappé le cinéma et a entraîné l’interruption des projections ?! Car je suppose que notre salle n’était pas la seule touchée, toutes les salles se sont certainement trouvées baignées de lumière en pleine projection. Il ne m'était jamais venu à l'esprit jusqu'ici qu'un orage pouvait perturber les projections de films, et je l'ai découvert de façon brutale (et étrangement surréaliste grâce à la réplique qui coïncidait parfaitement).

En vivant cette drôle de situation, je me suis rappelé un autre incident du même acabit, survenu six ans plus tôt dans ce même UGC Ciné Cité Bercy, pour la projection du Sourire de Mona Lisa. A l’époque, le cinéma avait subi une alerte incendie, qui avait causé l’interruption de toutes les séances au son retentissant d’une sirène, entraînant du même coup l’évacuation des salles. Un beau bordel qui avait duré quelques minutes avant que nous ne regagnions nos places et que le film reprenne. Heureusement il s’agissait déjà alors d’un film passable (avec Julia Roberts celui-là).

Mais si la foudre n’a pas entraîné une évacuation aussi grandiloquente que celle du Sourire de Mona Lisa, elle a assurément causé un de ces moments de grâce totalement inattendus que l’on croirait sortie d’un film… « Allume… Allume ! ». Et la lumière fût. Laissant l’écran blanc comme neige.

mardi 30 mars 2010

Un rêve en deux langues

Il n’y a encore pas si longtemps, Kim Ki-Duk était LE cinéaste incontournable de la Corée du Sud aux yeux de la cinéphilie parisienne. Pourtant l’enthousiasme n’est plus franchement de mise à l’égard du travail du cinéaste, malgré la sélection en compétition de son précédent (et pas mal) Souffle. Dream, son nouveau long-métrage (façon de parler, il date de 2008…), est une nouvelle envolée mystérieuse qui n’a plus grand-chose du fascinant qui a pu caractériser son cinéma à une époque.

Déjà, Time, sorti en France en 2007, marquait un clair essoufflement dans l’inspiration du cinéaste, explorant maladroitement la thématique du double, avec ces personnages changeant d’identité en même temps que de visage grâce à la chirurgie esthétique. Ici il est toujours question de dualité, à travers les personnages de Jin et Ran. Lui fait d’étranges rêves qui se produisent au même moment dans la réalité. Elle est somnambule et accomplit les rêves de Jin contre son gré. Les deux sont liés, alors que les rêves de Jin se font de plus en plus violents.

Que Dream soit vaporeux et un peu mou pendant 1h15, et carrément désagréable dans son dernier quart d’heure, ne me gêne finalement pas plus que cela, tant je n’en attendais finalement pas grand-chose. Quelque chose me laisse par contre particulièrement perplexe dans le film de Kim Ki-Duk. Quelque chose d’incongru, et digne de se gratter la tête d’incrédulité : Dream est un film bilingue. C’est un film coréen, qui se déroule en Corée, peuplé de personnages coréens. Pourtant, la moitié des dialogues du long-métrage sont en japonais.

Cette aberration est trop facilement mise sur le compte de l’étrangeté du cinéma de Kim Ki-Duk, repoussant les barrières du réalisme. Si l’on était dans un film clairement fou et barré, cette caractéristique linguistique aurait certainement son rôle à jouer dans le film, et son charme. L’acteur principal de Dream est Jô Odagiri (prochainement à l’affiche du beau film de Kore-Eda Hirokazu Air Doll), japonais donc, et le comédien s’exprime uniquement dans sa langue natale. Sans aucune justification scénaristique. Sans aucun souci dans la cohérence de l’interaction avec les autres personnages. Jin parle en japonais, et tout le monde le comprend sans problème, sans sourciller, lui répondant en coréen.

Kim Ki-Duk aurait dû introduire beaucoup plus d’éléments étranges, mystérieux, loufoques, pour que ce parti pris osé ne dérange pas. A un spectateur qui ne sait faire la différence entre les langues japonaises et coréennes, peut-être ce détail n’est-il pas gênant, moi je n’ai entendu que cela tout au long du film, sans vraiment parvenir à focaliser mon attention sur autre chose. Imaginez un film français dont le protagoniste s’exprimerait uniquement en allemand à tous les autres personnages, sans aucune justification narrative, et sans que cela présente une gêne de compréhension auprès des interlocuteurs français. Le tout dans un cadre 100% français qui ne nécessiterait aucunement un personnage s’exprimant en allemand (mais jouant en apparence un français)... Vous suivez là ? Personne ne tiquerait, à votre avis ?

dimanche 28 mars 2010

Acteur sérieux pour série B ou acteur de série B pour film sérieux ?

Si le sujet abordé ou le talent du cinéaste derrière la caméra sont des moteurs déterminants dans le désir que l’on éprouve à voir un film, les acteurs sont une incontournable vitrine, parfois le petit plus qui nous aide à faire nos choix, d’autres fois l’argument principal de notre envie. Prenez mon week-end ciné. Deux des films que j’ai vu ce week-end, Legion de Scott Stewart et White Material de Claire Denis, n’auraient peut-être pas fait partie de mes intentions cinéphiles du moment (quoi que certains aient du mal à voir une marque de cinéphilie dans le désir de voir Legion) s’ils n’avaient comptés à leur générique deux comédiens qui me tiennent à cœur.

En y réfléchissant, j’aurais probablement de toute façon vu Legion - l'armée des anges, parce qu’une série B dans laquelle l’ange Michael désobéit aux ordres du Tout-Puissant de propager l’Apocalypse sur Terre, préférant se cramer les ailes et descendre défendre l’humanité symbolisée par un petit groupe hétéroclite de beaufs dans un bouiboui du désert américain, ça plait à l’amateur d’atmosphères de fin du monde que je suis. D’autant que la bande annonce nous vendait un affrontement monstrueux entre Michael et sa poignée de protégés contre l’obéissant ange Gabriel, en armure, l’air mauvais, et accompagné en masse.

Bref un programme de série B bien sympa, qui était sur mon radar dès l’annonce de la mise en chantier du film par la simple présence au générique de Dennis Quaid, qui fait partie de ces acteurs dont je vais voir tous les films quels qu’ils soient. Y a des acteurs comme ça, ça ne s’explique pas forcément, et pour moi Quaid en fait partie. Je n’ai raté aucun de ses films en salles depuis 10 ans, et pourtant croyez-moi, le bonhomme a fait des films bien dispensables (Une famille 2 en 1, Les Cavaliers de l’Apocalypse et GI Joe, c’est vous que je regarde !)…

Quaid m’a donc entraîné au Publicis pour voir Legion, dans lequel l’acteur texan campe le propriétaire du bouiboui dans lequel débarque Michael, quinqua usé et désabusé qui sied étrangement mal à Quaid qui en fait des tonnes dans le rôle. La bonne surprise du film, que j’avais presque oublié, c’est la présence de Paul Bettany sous les traits de l’ange déchu. L’anglais frêle au physique à la fois doux et inquiétant fait partie d’une espèce d’acteurs très rare, ceux qui sont bons quoi qu’ils fassent. Quelle que soit le film dans lequel ils apparaissent, du film de luxe à la plus insignifiante série B (dans laquelle ils sont généralement ce qu’il y a de mieux dans le film), ils assurent. Ce n’est vraiment pas donné à tout le monde, et c’est ce qu’apporte toujours Bettany. Je me souviens d’ailleurs qu’il était déjà la seule chose que j’avais apprécié dans le premier film que j’avais vu avec lui, l’inepte Un homme d’exception de Ron Howard.

Dans Legion, Paul Bettany est bien ce qu’il y a de mieux. Il serait un peu fort de dire la même chose de l’acteur qui m’a poussé à aller voir White Material ce week-end. Car le film de Claire Denis est un bon film en soi, contrairement à Legion qui n’est qu’une petite série B. Isabelle Huppert joue la gérante d’une exploitation de café dans un pays d’Afrique en pleine explosion rebelle, menaçant l’exploitation et tout ceux qui y travaillent. Film sensoriel, joliment éclaté dans la forme, économe de mots et juste sur le fond, White Material séduit malgré l’entêtement d’Huppert à camper des personnages souvent peu appréciables, ici froide, peu sympathique et dont l’apparente force cache une déconnexion totale avec la réalité. Elle est une femme aveuglée par son quotidien et ses habitudes, si aveuglée qu’elle ne prend pas conscience que son monde s’effondre, malgré le comportement inquiétant de son fils, malgré les avertissements de son ex-mari.

L’ex-mari, justement, c’est lui qui m’a attiré dans la salle. Christophe Lambert, l’homme qui aimait tant les séries B et tente ces derniers temps de les troquer contre des films plus pointus. L’ancien espoir international du cinéma français, mué au fil du temps en acteur à nanars, a toujours eu mon affection sur grand écran, et c’est avec plaisir que je me délectais de le voir dans un rôle plus ambitieux, bien que secondaire, que ceux dans lesquels il s’était enfermé ces 15 dernières années. Et qui plus est pour une cinéaste française marquée du sceau du cinéma d’art et essai.

En ex-mari d’Huppert, protecteur, les pieds sur terre, mais inquiet, Lambert est irréprochable. Le personnage, sympathique de prime abord car d’apparence plus posé, révèle des failles que l’acteur incarne avec justesse. Si Dennis Quaid ferait bien de délaisser un peu les séries B futiles dans lesquels il s’affiche un peu trop depuis quelque temps, Christophe Lambert serait bien avisé de continuer à afficher sa présence dans un cinéma français qui a certainement de beaux rôles à lui offrir, mêmes secondaires. Réfléchissez-y messieurs…

mercredi 24 mars 2010

Kick Ass : quand le geek devient justicier masqué

C’était inévitable. Depuis le temps que les comic books et leurs divers dérivés font rêver les geeks, un jour ou l’autre ces mêmes geeks allaient forcément être transformés en justiciers dignes de leurs héros préférés. Ils (on) en rêvaient, Mark Millar et Matthew Vaughn l’ont fait. Le premier en créant le comic book Kick Ass, le second en le transposant sur grand écran. Le 21 avril, se faire botter les fesses sera un programme réjouissant…

Rêver d’être un super héros, c’est humain. C’est même presque banal. C’est ce qu’on se dit en voyant le pitch de Kick Ass, et c’est ce que se dit Dave, ce lycéen new-yorkais qui commence à en avoir marre de se faire racketter et d’être invisible aux yeux des filles (enfin, de LA fille). Dave est un avide lecteur de comic books qui traîne tout le temps dans une boutique spécialisée avec ses deux meilleurs potes. Dave se dit qu’après tout, il n’est pas nécessaire d’avoir des pouvoirs pour être héroïque. Un costume commandé sur Internet, une page Myspace, et un nom cool, pourquoi pas Kick Ass, tout cela fera l’affaire. Et un peu de cran, bien sûr. C’est ainsi que Dave se lance dans sa carrière de justicier, bien plus dangereuse qu’il ne l’imaginait. Heureusement pour lui, Dave n’est pas seul. Il fait la rencontre d’un père et de sa fille même pas ado qui font déjà régner la justice dans la ville, avec une dextérité bluffante dans le maniement des armes (du simple couteau à la sulfateuse) : Big Daddy et Hit Girl.

Tout est dans le ton. Une fois celui-ci trouvé, nombre de films trouvent leur sens. Matthew Vaughn trouve rapidement celui de Kick Ass. Imaginez une parodie non moqueuse, proche de l’hommage, aux films Marvel, Spiderman en particulier. Un jeune héros en pleine quête d’identité. Des salauds à combattre, une fille à conquérir, des sidekicks à effets comiques, des alliés précieux. Tout est là, mais avec un tranchant appuyé, que ce soit dans l’aspect sombre (les morts sont nombreux, le sang gicle plus d’une fois) ou le versant humoristique (la vie sociale de ces geeks fait bien rire). Noir et comique à la fois, le mélange aurait vite pu être indigeste sans les qualités de conteur de Matthew Vaughn. Pour ceux qui ont vu Stardust, sa fantaisie joliment 80’s, ce ne sera pas une surprise.

Qui dit talentueux conteur dit personnages réussis, et ceux de Kick Ass ne déçoivent pas. C’est essentiellement par eux que la jubilation fait son apparition. Mais ce n’est pas forcément pour Dave et son alter ego Kick Ass que l’on s’éprend du film. C’est de temps en temps pour les deux potes geeks s’assumant comme tels. C’est de temps en temps pour Chris d’Amico, fils du bad guy, gosse de riche geek esseulé campé par Chritopher Mintz-Plasse (le McLovin de Supergrave bien sûr). C’est surtout, constamment, pour Big Daddy et Hit Girl. Ce père et sa fille immergés dans leur désir de justice. Un père inculquant à sa fille tout ce qu’il sait des armes, tout ce qu’il sait du combat. Une gamine tuant sans hésitation des criminels lorsque d’autres prennent leur goûter.

Big Daddy et Hit Girl sont les vraies stars de Kick Ass, personnages qui apparaissent décalés à première vue, avant de se révéler fiévreux et habités, drôles mais désenchantés et fascinants. Nicolas Cage a rarement été aussi bon ces dernières années qu’en Big Daddy, et la jeune Chloe Moretz dévore la pellicule malgré son jeune âge (elle était déjà l’un des rares éclairs de réussite de (500) jours ensemble). Si Kick Ass est un film si fun et rafraichissant, c’est principalement grâce à ces deux là. Est-ce d’ailleurs lorsqu’on les quitte trop longtemps que le film s’essouffle parfois quelques instants ? Toujours est-il que l’énergie jouissive que nous procure Kick Ass n’est pas constante. Quelques petits coups de mou l’émaillent. Rien qui empêche de s’éclater, mais une pointe de déception dans la capacité du film à maintenir l’allure qu’il atteint parfois avec flamboyance.

Mais c’est un défaut si minime, face à l’excitation que nous procure le film de Matthew Vaughn. Ne m’écoutez pas faire la fine bouche, et allez vous faire botter les fesses le mois prochain !

lundi 22 mars 2010

J'ai goûté au cinéma bulgare

Cinéma coréen, américain, français, japonais, australien, chinois… Un coup d’œil dans le rétro, et je me rends compte que le cinéma européen se fait très occasionnel dans ces pages, comparé aux autres… Peut-être n’en vois-je pas assez. Sûrement. La frilosité me guetterait-elle lorsqu’il s’agit de s’aventurer dans les cinémas de mes voisins d’Europe ? Si c’est le cas, le meilleur remède contre ce genre de comportement, c’est d’en voir un bon. Plusieurs c’est encore mieux bien sûr, mais en voir ne serait-ce qu’un, de temps en temps... Pour éprouver du désir pour le cinéma européen. Ca tombe bien je viens d’en voir un. Un très bon. Un qui donne envie d’oublier la frilosité.

De tous les coins du cinéma d’Europe, celui de l’Est est celui qui inlassablement me fait le plus peur et échoue à me motiver. La critique a beau s’enflammer sur l’émergence du cinéma roumain, je n’ai pas eu le courage de croquer dedans. La dernière fois que je me suis aventuré (cinématographiquement) en Europe de l’Est, je crois que c’était pour Katyn, d’Andrzej Wajda. Je ne regrette jamais d’avoir vu un film, mais après coup je me suis tout de même dit que celui-là, si je l’avais raté, je m’en serais remis.

Pour la première fois depuis quelques mois, j’ai de nouveau éprouvé l’envie de voir un film d’un pays d’Europe de l’Est. C’est rare. Ce qui est encore plus rare, c’est que j’en suis sorti loin de la déception. Eastern Plays est un film bulgare, un pays peu représenté dans les salles françaises (certes leur rendement niveau production ne doit pas non plus être du niveau d’autres pays d’Europe). Un premier film, qui plus est. Bien sûr, être passé par le Festival de Cannes, à la Quinzaine des Réalisateurs (et y être bien reçu), aide à trouver par la suite un distributeur en France. Tant mieux.

Ce qui me rebute souvent dans le cinéma d’Europe de l’Est, c’est le caractère sombre, voire glauque du cadre dans lequel les cinéastes choisissent de poser leurs sujets. Et le traitement qui va avec. Le réalisateur Kamen Kalev nous envoie lui une plume plutôt qu’un poids, et esquisse son histoire pourtant peu joviale avec une certaine luminosité. Car en fait de glauque, le sentiment qui se dégage d’Eastern Plays est celui d’une profonde mélancolie.

La caméra s’attache à Christo, trentenaire, bossant pour une fabrique de meubles mais rêvant à une vie où il pourrait se consacrer pleinement à son art, la sculpture sur bois. Il a une petite amie auquel il n’est pas attaché, des parents qu’il voit peu et un frère qu’il voit se laisser entraîner vers la violence. Il glisse à travers la vie sans parvenir à y voir de la joie, et se noie dans l’alcool du matin au soir. Un éclair de lumière entre pourtant dans sa vie lorsque, une nuit, il défend une famille turque agressée par une bande violente.
Pour Christo, éprouver de l’empathie pour son prochain est une inconnue qu’il aimerait maîtriser. Il a beau être un brave gars serviable, il ne ressent rien. Paradoxe d’un rêveur qui ne croit pas en ses rêves, d’un artiste qui n’a pas le courage de goûter à l’aventure. D’un rebelle empêtré dans son quotidien et ses démons.

Le plus beau cinéma est celui qui sait se montrer lumineux. Il ne s’agit pas de mièvrerie, de bons sentiments ou de happy end. Il s’agit de transformer la noirceur en mélancolie. De transformer le noir en gris. De maintenir vivante, vibrante, l’étroitesse qui sépare la tristesse de l’espoir, un cocktail de désenchantement qui plonge un film entre chien et loup. Pendant 1h25, c’est à cela qu’Eastern Plays nous invite, à cet instant où le prisme de la société bulgare se trouve observée à travers le destin indécis et délicat de cette âme en peine à la recherche d’envie. Un instant inattendu où un certain cinéma européen se rappelle à mes goûts cinématographiques.

Petite parenthèse, l’acteur Christo Christov, apparemment très proche hors caméra du personnage qu’il incarne dans Eastern Plays, est décédé pendant le tournage. Comme si le film n’était pas suffisamment teinté de désenchantement…

mercredi 17 mars 2010

Kitano et moi

Le cinéma asiatique n’a pas été une évidence pour moi. Je mentirais si je disais que le premier film asiatique que j’ai vu m’a fait tomber amoureux de la cinématographie du continent. Je mentirais aussi si j’affirmais me rappeler parfaitement quel fut le premier film asiatique à m’être passé sous les yeux. Les premiers coréens oui, car l’arrivée du cinéma coréen dans les salles françaises est plus tardive (à quelques exceptions près)… mais les autres…

Par contre s’il y a bien une chose dont je me souviens de mes débuts cinéphiles, c’est de la présence de Takeshi Kitano dans les environs. La chronologie est plus floue dans mon esprit, car à cette époque le cinéma asiatique était une dense forêt que j’avais bien du mal à appréhender. Mais au milieu de ces années 90 d’où j’ai émergé en tant que cinéphile, Kitano était un grand nom du cinéma mondial, en pleine expression de son talent.

La première image du cinéma du réalisateur japonais qui me revient en mémoire, c’est une séquence de Sonatine, le premier Kitano que j’ai vu, quand j’étais adolescent. Un jeu de roulette russe sur une plage venteuse. Kitano et sa bille de triste clown à ce jeu de vie et de mort, l’air tragicomique, comme souvent. Je n’étais alors pas un spectateur passionné. Je ne me suis pas pris instantanément de passion pour Kitano. D’ailleurs je ne me suis certainement jamais pris de passion pour Kitano, sinon j’aurais vu tous ses films, ce qui n’est pas le cas. Je n’étais par exemple pas allé voir Kids Return, son film qui a suivi Sonatine, sûrement trop occupé à aller voir un blockbuster décérébré hollywoodien. Il faut me pardonner j’avais 15 ans lorsqu’il est sorti en France, et à cet âge-là, je voyais beaucoup trop d’inutiles films hollywoodiens, même si j’avais déjà entamé un virage dans mes goûts ciné.

Ma rencontre suivante avec Kitano s’est donc faite sur Hana Bi, auréolé d’un prestigieux Lion d’Or à Venise en 1997. Mai le garçon de 16 ans que j’étais avait plus été impressionné par la mise en scène virevoltante de Volte/Face de John Woo, vu quelques jours plus tôt, que par le scénario alambiqué du film de Kitano. Je me souviens clairement m’être demandé ce qu’on pouvait bien trouver d’extraordinaire là-dedans.

En fait j’ai attendu les dernières heures de la décennie pour retrouver des images indélébiles dans le cinéma de Kitano. Une première fois à la Fête du Cinéma de juin 1999. Un week-end à l’UGC Ciné Cité des Halles (déjà) pendant la Fête du Cinéma, une expédition folle que je n’oserais plus tenter aujourd’hui, mais qui me plaisait bien à 17 ans, et que nous avions tentée avec mon pote Ilyess. Et aux Halles, un jour de Fête du Cinéma, on ne choisit pas vraiment ce qu’on va voir. On dégote une place là où il y en a. Et nous avons eu droit à A scene at the sea, un Kitano datant de 1991 mais qui trouvait seulement le chemin des salles obscures françaises.

Un film quasi muet, sur une plage japonaise, entre deux vagues. Un moment de poésie suspendu, une surprise comme je m’en payais rarement à l’époque. Tout à coup, Kitano reprenait sens à mes yeux. Tout à coup, un second film sortait en 1999, réalisé par ses soins. A l’automne, quelques mois après sa présentation au Festival de Cannes, L’été de Kikujiro débarquait et il me sembla évident que je devais le voir. Tout à coup, je voyais enfin en Kitano un grand cinéaste. J’exagère un peu, car je crois me souvenir que la plus forte impression que m’ait faite Kikujiro fut quelques années plus tard, lors de sa diffusion à la télévision. Rétrospectivement je donnerais les yeux fermés la Palme au film de Kitano cette année-là (Rosetta ?).

Voilà plus de dix ans que Kitano a réalisé L’été de Kikujiro. Les années 2000 suivirent, et avec elles je ne retrouvai jamais le Kitano des années 90. Le cinéaste japonais se perdit à mes yeux dans un cinéma trop vaporeux (Dolls), attendu (Zatoichi) ou fermé (Takeshi’s).

Cette année, c’est une nouvelle décennie qui commence, pour Kitano comme pour tout le monde. Et en 2010, Kitano est plus incontournable que jamais dans le paysage culturel français. Une exposition à la Fondation Cartier courant jusqu’en septembre. Une rétrospective intégrale au Centre Pompidou, jusqu’en juin. Et un nouveau film, datant de 2008, mais qui nous parvient seulement maintenant. Achille et la Tortue. Un film auquel je me suis rendu avec tout le scepticisme d’un spectateur déçu depuis une dix ans par le cinéma de Kitano. Mais finalement un film dont je suis sorti avec la joie et la conviction de découvrir le meilleur film de Kitano depuis L’été de Kikujiro.

Kitano parle d’art à travers Achille et la tortue. Bien sûr il l’a déjà fait récemment, mais jusqu’ici le cinéaste parlait de la difficulté de la création avec un esprit trop brouillon, trop labyrinthique, trop ethnocentrique. Kitano a enfin levé le nez de son nombril et signé une œuvre riche, puissante, délicate, qui regarde au-delà des affres de la création. Son film est un portrait humain, l’histoire d’une vie centrée sur l’art mais qui ne se résume pas à l’art. A travers cet homme qui passe sa vie d’enfant, d’adulte et de quasi vieil homme à tenter de vivre de sa passion, à tenter de trouver son expression artistique, sa voix unique et reconnaissable entre toutes, Kitano dresse un portrait amer de la société japonaise.

Vivre sa vie à travers sa passion, oubliant de regarder ce qui se passe autour autrement qu’en tant que matériel à la création. Courir après la reconnaissance durant toute son existence. Fuir la réalité qui nous entoure, une réalité faite de découragement, de renoncement, de mort, pour ne pas sombrer soi-même. Choisir de ne pas s’arrêter à ce goût d’amertume qui parcourt la vie, pour sans cesse rebondir et trouver ce parfum de bonheur et de réussite auquel on aspire tous.

Kitano a mis beaucoup de lui-même dans ce film, à n’en pas douter. Lui, cet amuseur public, artiste aux yeux de certains, clown pour d’autres, visage protéiforme du Japon moderne qui a tout connu, reconnaissance artistique et publique, et en profite pour observer la vie fictive d’un homme qui, lui, est voué à courir toute sa vie pour espérer un jour attraper cette reconnaissance. On pourra reprocher à Kitano de s’essouffler un peu en cours de route, gérant mal un segment du film où le burlesque prend trop longtemps le pas sur le ton mélancolique de l’ensemble… Mais c’est une faible reproche tant l’œuvre dans son ensemble parvient à nous emporter dans cette vie d’artiste inconnu.

La lumière du nom Kitano commençait à décliner dans mon panthéon ciné, depuis trop longtemps. Et pourtant il suffit d’un film pour rallumer la flamme, un Achille et la tortue, pour booster l’envie de dévorer les films qui me manquent au cours de la rétrospective qui commence ces jours-ci à Beaubourg. Rattraper ces films qui jusqu’ici m’ont échappé. Kitano et moi, ce n’est pas fini. Le maître a encore quelques films à me montrer.

lundi 15 mars 2010

Les vampires prennent le pouvoir


L’imaginaire collectif s’est toujours montré fasciné par le mythe des vampires, et le cinéma s’est montré un excellent moyen de refléter ce craintif fantasme. D’aussi loin que les films de genre existent, les photophobes aux dents longues ont fait des méchants devant lesquels on aime à frissonner. A l’heure où une tranche trop importante de la population associe le genre à la pudeur mormone de Twilight (pfff), il est devenu particulièrement agréable de guetter des représentations des suceurs de sang offrant du mordant.

Bien sûr il ne s’agit pas de faire un film de vampire lambda qui se veut cool et branché pour happer l’intérêt des jeunes (il y a eu suffisamment de Underworld et Blade comme ça). Il faut trouver une approche différente, qui sorte du tout venant vampirique consistant à mettre quelques individus vampires aux trousses d’être humains pour leur croquer le cou.
Les frères Spierig se sont fait remarquer en 2003 en signant un premier film mêlant zombies et invasion extraterrestre, Undead. Un essai impressionnant pour un film tourné avec trois fois rien dans leur Australie natale. Les frangins abandonnent pour leur second long les zombies pour se consacrer, donc, aux vampires. Et pour ce faire, ils ont imaginé avec Daybreakers un point de départ futuriste se démarquant des autres films de vampires.

En 2009, un virus a fait son apparition, transformant la majeure partie de la population terrestre en vampires. Dix ans plus tard, la société a été bouleversée par cette mutation mondiale. Désormais, ce sont les vampires qui régissent le monde, ayant réduit la race humaine à une espèce en voie de disparition, servant essentiellement de bétail à la race dominante. Mais les humains se font rares, et le sang indispensable au bien-être des vampires aussi. Edward Dalton, brillant hématologue, est chargé de mettre au point un substitut au sang, avec pour objectif la survie des vampires. Mais Dalton est vampire malgré lui, et sa rencontre avec une poignée d’être humains rebelles va le faire changer de camp.

Remodeler la société à l’image des vampires, plutôt que les introduire dans la nôtre, est l’idée maline du scénario des frères Spierig. Dès lors ils n’inscrivent plus tellement leur film dans le genre horrifique, mais lorgnent du côté de la science-fiction. Les rôles sont inversés avec à propos, sans pour autant nier aux vampires leur dangerosité. Ils affinent le traditionnel personnage du vampire, qui n’est plus un monstre, du moins plus seulement. Hommes puissants séduits par leur immortalité, hommes de bon sens dégoûtés par leur leurs obligations de suceurs de sang, mutants dégénérés ayant perdus toute trace d’humanité, le bestiaire vampirique des frères Spierig séduit d’autant plus qu’il est servi par des gueules comme Sam Neill ou Ethan Hawke.

Bien sûr Daybreakers reste de la série B, et ne s’en éloigne pas forcément dans son schéma narratif relativement balisé. 2009 a offert des variations dans le genre plus audacieuses et intéressantes comme Morse et Thirst (bien que ce dernier ne soit pas des plus réussis…). Mais les bonnes petites séries B (sanglantes) sont des plaisirs auxquels il est difficile de résister.

mercredi 10 mars 2010

Des prix et des films


Les professionnels de la profession ont parlé ces derniers jours, ou plutôt ont voté, pour élire les meilleurs d’entre eux. C’est la grand messe traditionnelle des Césars, Oscars et autres récompenses en tous genres qui rythment les derniers jours de l’hiver. La curiosité est attisée, un peu, les interrogations se posent, nombreuses, et l’agacement et la déception parviennent toujours à s’inviter à la fête. Des César je n’ai rien dit la semaine dernière, parce que l’on s’attendait à ce que l’Académie soit prévisible, et cela n’a pas manqué.

Qu’y avait-il à dire sinon qu’Un Prophète était annoncé grand gagnant, et qu’il est arrivé grand gagnant. C’était le meilleur film français de l’année 2009, et il a récolté tous les suffrages. Certains s’en offusqueront, pour ma part je regrette sans doute que d’autres films que j’ai beaucoup aimé, à l’image d’A l’origine, ne se voient pas mieux représentés au palmarès, mais j’aurais trouvé plus révoltant qu’Un prophète reparte avec deux récompenses seulement.

Mais je ne tiens pas particulièrement à parler des César. Non que je tienne absolument à écrire ma bafouille sur les Oscars, mais ces jours-ci, en se rendant au cinéma, on peut difficilement échapper aux films qui se trouvaient en concurrence aux fameux Academy Awards le week-end dernier. Precious, Crazy Heart, Une éducation, A single man, In the air… Qui veut savoir ce qui se fête à Hollywood peut le voir dans les salles françaises, et constater ou non si l’Académie américaine a bon goût. Bien sûr les deux films les plus attendus de la cérémonie ont soit disparu des salles depuis un petit moment (Démineurs, six Oscars dont Meilleur Film, Meilleure réalisatrice et Meilleur scénario original), soit déjà touché et divisé tout ce qui compte de spectateurs sur la planète (Avatar, justement oublié des récompenses « suprêmes » pour se voir restreint à la technique).

Du coup il est possible de se pencher à loisir sur les films marginaux de la compétition, les outsiders moins nommés, moins attendus, moins récompensés. Il y avait par exemple un outsider qui il y a à peine plus de trois mois, alors que personne ou presque ne se méfiait de Démineurs et Avatar, était perçu comme LE film à battre, qui était presque certain de connaître son moment de gloire le week-end dernier : In the air, dont la critique et le public américain se sont entichés, tellement entichés que la sortie française avait été avancée de quelques semaines pour surfer sur la popularité générale du film (qui finalement ne s’est pas franchement retranscrite en France).

Ce week-end In the air, un très bon film, n’a rien gagné. Inglorious Basterds, un autre excellent film, a lui été récompensé via son interprète Christoph Waltz, Oscar du Meilleur Acteur dans un second rôle. Si les meilleurs films anglo-saxons de l’année étaient seulement (à peine pour la plupart) nommés (A single man, District 9, L’imaginarium du docteur Parnassus) voire complètement niés (The Box, Moon), les déceptions ont elles eu droit à leur part du gâteau. Je ne parle pas de Démineurs qui m’a donné des frissons et m’a fait suer à grosses gouttes le jour où je l’ai vu. Je ne parle pas de Là-haut, Star Trek ou Jeff Bridges. Quoique, parenthèse, l’Oscar de l’immortel Dude des frangins Coen me fait plaisir au plus haut point (il était temps qu’il reçoive un Oscar celui-là), mais j’ai tout de même une pointe d’amertume pour Colin Firth qui des cinq nommés délivrait cette année la performance la plus éblouissante du lot, peut-être parce qu’elle était situé dans un beau film, là où celle de Bridges servait un film, Crazy Heart, malheureusement assez bateau. Bien sûr la vraie grande performance d’acteur de l’année est celle de Sam Rockwell dans Moon, mais ça c’est une autre histoire.

Bon je referme la parenthèse sur l’Oscar du Meilleur acteur. Je parlais de déception aux Oscars. Et en y réfléchissant la déception ne se limite pas aux Oscars, mais à peu près à toutes les cérémonies de remises de prix cinématographiques qui ont eu lieu aux États-Unis ces trois derniers mois. Oui, bon, d’accord, je l’avoue, en fait aujourd’hui je voulais m’offusquer de l’engouement Precious. Ce film qui érige l’horripilante complaisance en phénomène populaire, ce film qui se plaît à magnifier la misère humaine dans une esthétique toc, ce film qui déborde de mauvais goût a raflé presque tous les Independent Spirit Awards (les Oscars du cinéma indépendant), et a décroché deux Oscars, celui de la Meilleure actrice dans un second rôle (Mo’nique), et celui du Meilleur scénario adapté (la bonne blague).

Tous les ans c’est pareil, les Oscars s’entichent d’un film qui m’agace. Ces dernières années, il y avait eu Chicago, Un homme d’exception ou plus récemment Slumdog Millionaire. Dieu merci Precious n’est pas allé plus loin que ces deux Oscars, contrairement aux trois autres films cités. Mais faites-moi plaisir, et faites-vous du bien au passage, si vous ne l’avez pas vu, n’allez pas voir Precious, ce film qui ne l’est pas (précieux).Allez voir A single man, allez voir Fantastic Mr Fox, allez voir Une éducation, allez voir Le guerrier silencieux. Vous verrez un vrai bon film.

vendredi 5 mars 2010

Les 50 meilleurs cinéastes en activité ?

Chaque semaine, je lis assidûment Entertainment Weekly, LA référence nord-américaine de concentré hebdomadaire de culture pop américaine. Ciné, télé, musique, littérature, le magazine couvre avec verve tout le spectre culturel américain moderne. Je lis le magazine pour le ton et le regard posé sur les évènements du moment, mais je dois bien avouer que leurs avis ciné me laissent régulièrement sceptique, voire incrédule, leurs journalistes ciné Owen Gleiberman et Lisa Schwarzbaum ayant des goûts radicalement différents des miens (la plupart du temps).
Mais Entertainment Weekly, en dehors des critiques, a de l’allure, de l’exclu, et de bons sujets. Et aime, sur son site web, les listes aussi cool que « Les 25 oublis des Oscars qui nous rendent dingues », « Les 20 stars « Jamais nominées ??!! » ou « Les films qui font le plus pleurer ». C’est léger, et ça pousse souvent à dresser sa propre liste.

Il y a quelques jours pourtant, Entertainment Weekly a pété les plombs. La rédaction a dressé une nouvelle liste comme je les aime, cette fois carrément ambitieuse comme elle se plait à l’être de temps en temps. « Les 50 meilleurs cinéastes en activité ». Rien que ça. C’est beaucoup, cinquante. C’est beaucoup mais comme on le découvre rapidement en parcourant le classement, ce sont des cinéastes de toutes nationalités. Du coup cinquante, ce n’est pas tant que ça. Les meilleurs cinéastes en activité des quatre coins du monde, cela laisse peu de places au moyen. Et pourtant…

Pourtant le classement d’Entertainment Weekly m’a fait bondir (le classement a été mis en ligne en deux fois vingt-cinq réalisateurs).
Tout d’abord il aurait certainement mieux valu, pour la crédibilité du classement, se limiter aux cinéastes anglo-saxons. Seuls huit cinéastes cités ne sont pas anglo-saxons, mais dans ceux-ci seuls deux n’ont jamais tourné aux États-Unis… Pedro Almodovar et Hayao Miyazaki. Les autres se nomment Guillermo Del Toro, Ang Lee, Alfonso Cuaron, Roman Polanski, Mira Nair et Wong Kar Wai. Difficile d’avaler que 42 des 50 meilleurs cinéastes du moment sont anglo-saxons. Ca manque de diversité comme idée…

Là où le bat blesse, c’est surtout sur les présences anglo-saxonnes, dont certaines laissent dubitatif. Nancy Meyers, la réalisatrice de Pas si simple ??? Jon Favreau, dont la seule franche réussite s’intitule Iron Man ??? Ron Howard, la grande imposture du cinéma « classe » américain (des films corrects au mieux) ??? Lee Daniels, réalisateur de l’amplement surestimé Precious (en 25ème position en plus !!) ??? James Cameron classé 4ème ???? Et son ex Kathryn Bigelow, dont j’ai vanté les mérites de son remarquable Démineurs, classée… 3ème ? J’adore Démineurs, c’est l’un des meilleurs films américains de 2009, mais le reste de la carrière de Bigelow est en dents de scie, souvent très moyenne. La voir classée plus haut que Spielberg (5ème), les frères Coen (8ème), ou Eastwood (11ème), laisse pantois.

En lisant ce classement, forcément, on compte également les absents. Bien sûr. Et bien sûr, l’importance des absents est tout à fait subjective. Mais franchement, entre nous, dresser la liste des 50 meilleurs cinéastes en activité, et ne pas citer Michel Gondry ? James Gray ? Emir Kusturica ? Gus Van Sant ? Peter Weir ? Frank Darabont ? Francis Ford Coppola ? Brian De Palma ? Sidney Lumet ? Terry Gilliam ? Je suis plus tolérant sur des oublis de cinéastes qui n’ont pas encore percé aux États-Unis, comme Jacques Audiard, Bong Joon-Ho ou Brillante Mendoza (mais bon quand même).
Voir Nancy Meyers, Lee Daniels et Ron Howard dans un classement où tous ces cinéastes sont absents me fait bien rire (ou m’attriste, au choix).

Je conclurai par l’oubli ultime de ce classement d’Entertainment Weekly. Il est américain, ce qui rend cet oubli inexcusable. Il est en activité, puisque son dernier film date de 2005, et que son prochain va sortir dans le courant de l’année. Il est grand, car chacun de ses films l’est. Ce cinéaste c’est Terrence Malick. Et dresser une liste des 50 meilleurs cinéastes en activité en laissant Terrence Malick, sa balade sauvage, ses moissons du ciel, sa ligne rouge et son nouveau monde sur le bord de la route, c’est absurde. Bouh !
(au fait, le haut du classement, pour ceux qui n’ont pas le courage de suivre le lien vers Entertainment Weekly, a été réservé à Christopher Nolan, juste devant Martin Scorsese).

mercredi 3 mars 2010

Le fantastique maître renard de Wes Anderson


C’est l’histoire d’une rencontre. La rencontre entre un auteur avec lequel nombre d’entre nous avons grandi et un cinéaste qui fait le bonheur de plusieurs générations de cinéphiles. C’est l’histoire de la rencontre entre Roald Dahl, dont je lisais, enfant, les classiques, et Wes Anderson, dont je me délecte, adulte, des films. Était-il vraiment possible que le réalisateur drôlement mélancolique trouve dans le « Fantastique Maître renard » de l’auteur un matériau à même de se couler dans son univers (ou l’inverse ?) ? Apparemment oui.

Fantastic Mr Fox ressemble-t-il au livre de Roald Dahl dont il est adapté ? Oui. La trame est toujours là, celle de Maître Renard / Mister Fox, terreur des poulaillers du trio de propriétaires Boggis, Bunce et Bean, qui va se trouver assiégé par les hommes décidés à débusquer et exterminer celui qui vole leurs exploitations. Fantastic Mr Fox ressemble-t-il à Wes Anderson, et au style si reconnaissable de l’œuvre du metteur en scène ? Sans l’ombre d’un doute également.

Le cinéma d’Anderson est un cinéma familial, devant et derrière la caméra, et Fantastic Mr Fox déborde d’énergie familiale. En son cœur, la famille de Fox, véritable charpente du film : un père charismatique et malin ; une femme posée et lucide ; un fils frêle et fier ; un neveu doué et discret. Et comme d’habitude chez Anderson, la famille ne s’arrête pas aux liens du sang. C’est une famille au sens large, incluant ici tout un bestiaire attachant, quand les Tenenbaum adoptaient les amis de la famille ou Steve Zissou les membres de son équipage.

La différence de Fantastic Mr Fox avec les autres opus de Anderson, c’est que celui-ci n’est pas hanté par l’autre thème habituellement incontournable des films d’Anderson, la mort. En adaptant Dahl, Anderson se déleste de cette funeste ombre qui pèse sur ses autres familles, maris ou épouses décédés, parents disparus, amis ou enfants emportés trop tôt. Les œuvres d’Anderson sont toujours teintées de cette amertume liée à la disparition, mais dans la famille de Mr Fox, point de mélancolie liée à la grande faucheuse. Anderson signe une vraie comédie.

Son humour décalé est seul maître à bord, et les aventures rocambolesques de cette famille renard (et leur inénarrable ami, Kylie l’opossum !) confèrent à la jubilation quasi permanente. Bien sûr tout le monde n’est pas client du style Anderson (tant pis pour les autres !), ces personnages un peu loufoques, un peu loser, complètement attachants, que le cinéaste ancre dans un univers entièrement sien. Son univers passe par le cocon dans lequel évolue sa famille cinématographique. Et nul doute que le terrier de Mr Fox, son arbre, ses égouts, rappellent la maison des Tenenbaum, le bateau de Steve Zissou, ou le Darjeeling Limited des frangins Whitman.

Qui l’eût cru ? Maître Renard est comme chez lui dans un film de Wes Anderson. Et nous, comme chez nous dans un film de Wes Anderson. Mais ça, ce n’est plus une surprise. Tout juste une confirmation.

mardi 2 mars 2010

La frêle ossature de Lovely Bones

Après les millions d’entrées du Seigneur des Anneaux, après son remake monstre de King Kong, qui eût cru que le nouveau film de Peter Jackson sortirait dans un climat de quasi indifférence ? En France comme aux États-Unis, Lovely Bones n’a pas fait de vagues au box-office, n’a pas charmé la presse, et n’a pas conquis le public peu nombreux qui l’a vu. En l’espace d’un film, adapté du roman « La nostalgie de l’ange » d’Alice Sebold, le réalisateur de la trilogie la plus retentissante de la décennie est redevenu un cinéaste comme les autres.

Le film n’est-il donc digne d’aucun intérêt ? Non. Lovely Bones est, malgré l’indifférence générale, un bon film. Inégal et mal dosé, à n’en pas douter. Le sujet était après tout risqué. Plus exactement la construction de l’histoire. Le point d’ancrage du film est Susie Salmon, une adolescente américaine des années 70, insouciante, rêveuse, qui un jour ne rentre pas du lycée. Elle a disparu. Elle a croisé le chemin de monsieur Harvey, un homme du quartier aux pulsions meurtrières qui en a fait sa victime. Mais personne ne soupçonne monsieur Harvey, et personne ne retrouve le corps de Susie.
Pendant que sa famille implose lentement mais sûrement - une mère n’arrivant pas à faire le deuil, une grand-mère indélicate, un père et une sœur décidés à mener leur enquête mieux que la police – Susie est coincée dans un monde intermédiaire, aux portes du paradis. Elle surveille sa famille, et son meurtrier.

Le monde de Susie est un monde de fantasme, sombre et merveilleux à la fois, dans la conception duquel une bonne partie du budget du film est certainement passée. Dommage, car le plus intéressant dans Lovely Bones, c’est ce qui passe sur Terre, dans le voisinage de la famille Salmon. Un drame familial et policier, où chacun vit le drame de l’absence de Susie comme il le peut.

Tension et suspense se dégagent sans difficulté de cette intrigue, mais c’est la mélancolie qui domine. La mélancolie d’une famille ne parvenant pas à surmonter la mort d’un enfant. La mélancolie d’une adolescente que l’on a arrachée à la vie alors qu’elle y prenait franchement goût. La mélancolie fait le film de Jackson. Ce qui est dommage, c’est qu’en ne se consacrant pas suffisamment à la famille, le cinéaste manque de donner suffisamment d’épaisseur à ses personnages et à sa narration. On aimerait les voir plus fouillés, ces personnages. On aimerait sentir avec plus d’évidence le temps qui s’écoule.
Par petites touches (notamment le personnage du tueur, campé par le toujours irréprochable Stanley Tucci), Jackson réussit son film. Mais la délicate mélancolie ne fait pas tout.
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